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Le Roi des Gnomes 1 страница




Nouvelles choisies

Nouvelles choisies de Nicolas Gogol/Le Roi des Gnomes

Визовые страны

Cтраны с упрощенным визовым режимом

Безвизовые страны

 

 

На пункте пересечения границы в аэропорту прибытия необходимо будет потратить немного денег на оплату визы.

Страна Режим Срок пребыв. Срок паспорта
Египет Упрощенный 30 дн. 2.00 мес.
Индонезия Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Иордания Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Катар Упрощенный 14 дн. 6.00 мес.
Кения Упрощенный 90 дн. 3.00 мес.
Маврикий Упрощенный 15 дн. 6.00 мес.
Мальдивы Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Непал Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Оман Упрощенный   6.00 мес.
Сейшелы Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Сирия Упрощенный 14 дн. 6.00 мес.
Шри-ланка Упрощенный 30 дн. 6.00 мес.
Страна Режим Срок пребыв. Срок паспорта
Австралия Виза 3 мес. 6.00 мес.
Австрия Виза   3.00 мес.
Албания Виза   6.00 мес.
Алжир Виза 30 дн. 6.00 мес.
Андорра Виза   3.00 мес.
Бельгия Виза   3.00 мес.
Болгария Виза   3.00 мес.
Великобритания Виза   6.00 мес.
Венгрия Виза   6.00 мес.
Германия Виза   3.50 мес.
Греция Виза   3.50 мес.
Дания Виза   3.50 мес.
Индия Виза   6.00 мес.
Ирландия Виза   6.00 мес.
Исландия Виза   3.50 мес.
Испания Виза   3.00 мес.
Италия Виза   95.00 дн.
Канада Виза   6.00 мес.
Кипр Виза   6.00 мес.
Китай Виза   6.00 мес.
Коста-Рика Виза   6.00 мес.
Латвия Виза   95.00 дн.
Литва Виза   3.00 мес.
Люксембург Виза   3.50 мес.
Мальта Виза   3.00 мес.
Мексика Виза   6.00 мес.
Нидерланды Виза   95.00 дн.
Новая Зеландия Виза   6.00 мес.
Норвегия Виза   3.00 мес.
ОАЭ Виза   6.00 мес.
Польша Виза   3.00 мес.
Португалия Виза   3.00 мес.
Пуэрто-Рико Виза    
Румыния Виза 90 дн. 3.00 мес.
Саудовская Аравия Виза    
Сингапур Виза   6.00 мес.
Словакия Виза   3.00 мес.
Словения Виза   3.00 мес.
США Виза   3.00 мес.
Тайвань Виза   6.00 мес.
Танзания Виза   6.00 мес.
Финляндия Виза   3.00 мес.
Франция Виза   115.00 дн.
Хорватия Виза   3.00 мес.
Центрально-Афр.респ Виза   6.00 мес.
Чехия Виза   3.00 мес.
Швейцария Виза   3.50 мес.
Швеция Виза   3.00 мес.
Эстония Виза   3.00 мес.
Южная Африка Виза   1.00 мес.
Япония Виза   6.00 мес.

< Nouvelles choisies de Nicolas Gogol

         

 

Nicolas Vassiliévitch Gogol

Traduction par Louis Viardot.
Hachette, 1853 (pp. 89-162).

◄ Un Ménage d’autrefois

 

 

LE

 

ROI DES GNOMES[1].

 

Dès que la cloche du séminaire, qui était pendue devant la porte du couvent des frères, à Kiew[2], se mettait en branle, on voyait arriver de toutes les parties de la ville des groupes d’écoliers. Les grammairiens, les rhétoriciens, les philosophes et les théologiens se rendaient aux classes avec leurs cahiers sous le bras. Les grammairiens étaient tous encore des enfants; en marchant, ils se poussaient les uns les autres, et se disaient des injures en voix de fausset. Ils avaient presque tous des habits sales et déchirés, et leurs poches étaient toujours remplies de mille brimborions, comme osselets, sifflets de plumes, croûtes de pâtés, et, dans la saison, de jeunes moineaux dont le cri, indiscrètement poussé dans la classe, attirait quelquefois sur leur possesseur des coups de férule ou même les étrivières. Les rhétoriciens marchaient avec plus de gravité; leurs habits avaient peu de déchirures, mais en revanche ils portaient presque toujours sur leurs visages quelques ornements dans le genre des figures de rhétorique, un œil au beurre noir, ou, pour lèvre, une cloche de brûlure. Ceux-là devisaient entre eux et juraient en voix de ténor. Les philosophes et les théologiens parlaient une octave plus bas, et n’avaient rien dans leurs poches que des bribes de tiges de tabac. Ils ne faisaient jamais de provisions, car ils dévoraient à l’instant tout ce qui leur tombait sous la main. Ils sentaient tous la pipe et l’eau-de-vie, et de si loin que plus d’un ouvrier, allant à sa besogne, s’arrêtait et flairait longtemps l’air comme un limier.

Vers l’heure des classes, la place publique commençait d’ordinaire à se remplir, et les marchandes de petits pains, de gâteaux, de graines de pastèques, de pâtés pétris avec du miel et de la graine de pavots, arrêtaient par le pan d’habit ceux dont les caftans étaient faits de drap ou de coton:

— Messieurs, ici, ici, criaient-elles de tous côtés; voici des petits pains; voici des gâteaux de miel. Ils sont bons, très-bons, j’en prends Dieu à témoin; je les ai faits moi-même. —

Une autre criait, en soulevant quelque chose de long et de tordu:

— Voici un saucisson, messieurs; achetez un saucisson.

— N’achetez rien chez elle, disait la voisine; voyez qu’elle est laide et quel vilain nez elle a; ses mains sont malpropres. —

Mais toutes ces marchandes n’avaient garde de s’adresser aux philosophes ni aux théologiens, car ces messieurs ne prenaient jamais que pour essayer la marchandise, et toujours à pleines mains.

En arrivant au séminaire, toute cette foule s’éparpillait dans les classes, qui consistaient en de grandes chambres basses, avec de petites fenêtres, de larges portes et de vieux bancs noircis. Toutes les salles se remplissaient de bourdonnements divers et confus. Les répétiteurs faisaient réciter les leçons aux élèves. La voix aigre et perçante d’un grammairien se trouvait au diapason d’une petite vitre brisée, dans l’une des fenêtres, et cette vitre lui répondait à l’unisson. Dans un coin marmottait un rhétoricien, que ses lèvres épaisses rendaient au moins digne d’appartenir à la philosophie. Il lisait sa leçon en voix de basse, et, de loin, l’on n’entendait que son murmure en faux-bourdon. Les répétiteurs, tout en écoutant les leçons, regardaient d’un œil par-dessous le banc pour voir s’il ne se trouvait pas dans la poche de leurs écoliers quelque friandise dont ils pussent faire leur profit. Quand toute cette foule savante arrivait d’un peu trop bonne heure, ou quand on savait que les professeurs viendraient plus tard que d’habitude, alors, du consentement de tous, commençait une bataille à laquelle tout le monde devait prendre part, même les censeurs, dont le devoir était de veiller au bon ordre et aux bonnes mœurs. D’ordinaire, deux théologiens décidaient de quelle manière devait avoir lieu le combat, c’est-à-dire si chaque classe se battrait pour son propre compte, ou si tous les étudiants devaient se diviser en deux grands partis: la bourse et le séminaire. En tous cas, c’étaient les grammairiens qui commençaient avant les autres, et dès qu’arrivait le tour des rhétoriciens, ils s’enfuyaient et se juchaient sur les hauteurs pour observer les chances du combat. Puis arrivait la philosophie, avec de longues moustaches noires, puis enfin la théologie dans d’énormes pantalons cosaques. La bataille se terminait presque toujours par une victoire complète de la théologie, et la philosophie s’en allait dans les classes en se frottant les cotes, et s’asseyait sur les bancs pour reprendre haleine. A son entrée, le professeur, qui, dans sa jeunesse, avait pris part lui-même à de pareils combats, devinait aussitôt, sur les figures échauffées de ses auditeurs, que la bataille avait été chaude; et pendant qu’il administrait des coups de verge sur les doigts de la rhétorique, un autre professeur dans une autre classe, frappait à tour de bras, avec une pelle de bois, sur les doigts de la philosophie. Quant aux théologiens, on agissait à leur égard d’une façon toute différente; on leur donnait à chacun, d’après l’expression du professeur de théologie, une mesure de gros pois, c’est-à-dire une bonne dose de coups appliqués avec une lanière de cuir.

Aux jours de fête, les séminaristes et les boursiers s’en allaient dans les maisons de la ville, portant des théâtres de poupées. Quelquefois ils jouaient eux-mêmes une comédie, et dans ce cas, c’était toujours un théologien qui en faisait le héros. Il avait presque la taille du clocher de Kiew, et représentait à merveille Hérodiade ou la femme de Putiphar. En récompense, ils recevaient un morceau de toile, ou un sac de mais, ou la moitié d’une oie rôtie, ou quelque chose d’approchant. Tout ce peuple savant, le séminaire et la bourse, que divisait une espèce de haine héréditaire, manquait également de moyens pour se procurer à manger en suffisance; ce qui ne l’empêchait pas d’être excessivement vorace, à ce point qu’il serait tout à fait impossible de compter combien chacun d’eux mangeait de galouchkis [3] à son souper; de sorte que les cadeaux des riches propriétaires ne pouvaient suffire à leur consommation. Alors le sénat électif et dirigeant, qui se composait de philosophes et de théologiens, envoyait les grammairiens et les rhétoriciens, sous la conduite d’un philosophe, avec des sacs sur les épaules, faire une battue générale dans les potagers de la ville; et ce soir-là on mangeait au séminaire un riche gruau de citrouilles. Du reste, la bourse et le séminaire portaient également de très-longues robes à la persane, qui s’étendaient jusqu’à cette époque, terme technique pour dire jusqu’aux talons.

Mais de tous les événements de l’année, le plus solennel pour le séminaire, c’étaient les vacances, qui commençaient au mois de juin, quand on renvoyait les écoliers à leurs parents. Alors toutes les grandes routes à la ronde se couvraient de grammairiens, de rhétoriciens, de théologiens et de philosophes. Celui qui n’avait pas de maison paternelle allait chez quelqu’un de ses camarades. Les philosophes et les théologiens cherchaient des conditions, c’est-à-dire allaient donner des leçons aux fils des riches campagnards, et recevaient pour prix de leurs soins ou des bottes neuves, ou même un caftan usé seulement à demi. Tout ce troupeau partait ensemble, mangeait et dormait dans les champs. Chacun d’eux portait un sac qui contenait une chemise et une paire de bas. Les théologiens surtout se montraient fort économes. Pour ne pas user leurs bottes, ils les portaient sur les épaules, pendues à un bâton. C’était principalement quand il y avait de la boue; alors ils relevaient leurs larges pantalons jusqu’aux genoux, et pataugeaient intrépidement dans les mares. Dès qu’ils apercevaient un village à l’horizon, ils abandonnaient la grande route, et se plaçant sur une seule file devant la maison de meilleure apparence, ils chantaient à tue-tête une complainte religieuse. Le maître de la maison, quelque vieux Cosaque laboureur, les écoutait longtemps, la tête appuyée sur les deux mains; puis il sanglotait amèrement, et disait à sa femme:

— Femme, ce que les étudiants chantent doit être quelque chose de très-édifiant. Donne-leur de la graisse de cochon et tout ce que nous avons en mangeaille. —

Aussitôt un grand panier de gâteaux était versé dans le sac des étudiants, accompagné d’une pelote de saindoux, de pains de seigle, et quelquefois encore d’une poule attachée par les pattes. Après une pareille aubaine, les grammairiens, rhétoriciens, philosophes et théologiens continuaient gaiement leur route. Toutefois, plus ils allaient en avant, plus leur nombre diminuait; tous s’éparpillaient peu à peu; il ne restait de la troupe que ceux dont les maisons paternelles étaient le plus éloignées de la ville.

Une fois, pendant un voyage de cette espèce, trois boursiers quittèrent la grande route pour chercher des provisions dans le premier village qu’ils rencontreraient, car depuis longtemps leurs sacs étaient vides. C’étaient le théologien Haliava, le philosophe Thomas Brutus et le rhétoricien Tibère Gorobetz. Le théologien était un homme de haute taille, à larges épaules, et d’un caractère fort singulier. Il avait l’habitude de s’approprier tout ce qui se trouvait sous sa main; avec cela l’humeur très-sombre, et quand il s’enivrait, il allait d’ordinaire se cacher dans les plus épais taillis, où la direction du séminaire avait grand’peine à le retrouver. Le philosophe Thomas Brutus était très-gai, tout au contraire, aimait à rester couché, à fumer sa pipe, et il ne manquait pas, après boire, de louer des musiciens et de danser lui-même le tropak [4]. Il recevait fréquemment des mesures de gros pois, mais avec une stoïque indifférence, disant que ce qui doit arriver arrive. Quant au rhétoricien Tibère Gorobetz, il n’avait pas encore le droit de porter moustaches, de boire le brandevin et de fumer la pipe. Il n’avait sur la tête qu’une courte touffe de cheveux[5], preuve que son caractère n’avait pas encore eu le temps de se développer. Toutefois, à en juger par les grosses bosses au front avec lesquelles il arrivait souvent en classe, on pouvait supposer qu’il deviendrait avec le temps un excellent homme de guerre. Le théologien Haliava et le philosophe Thomas le tiraient souvent par les cheveux, en signe de leur haute protection, et l’employaient pour commissionnaire.

Il était déjà tard quand ils quittèrent le grand chemin. Le soleil venait de se coucher, et la chaleur d’un jour d’été se faisait sentir encore dans l’air assombri. Le théologien et le philosophe marchaient en silence, fumant leurs pipes; le rhétoricien Tibère abattait à coups de bâton les têtes des chardons qui bordaient la route. Cette route étroite serpentait parmi des touffes de chênes et de noyers disséminées dans la plaine. De petites collines, vertes et rondes comme des coupoles d’église, s’élevaient par-ci par-là. Des champs de blé s’étaient montrés par deux fois, ce qui prouvait qu’on n’était pas loin d’un village. Mais il y avait plus d’une heure que nos étudiants les avaient dépassés, et nulle maison ne se montrait. Le dernier crépuscule assombrissait le ciel, et un petit reste de lueur rougeâtre pâlissait à l’occident.

— Que diable! s’écria enfin le philosophe, il me semblait que nous arrivions à un village. —

Le théologien ne dit mot, parcourut d’un regard les environs, remit sa pipe entre ses dents, et tous trois reprirent leur marche silencieuse.

— Par le saint nom de Dieu, dit de nouveau le philosophe en s’arrêtant, on ne voit pas seulement le point du diable.

-— Peut-être le trouverons-nous plus loin, dit le théologien sans quitter sa pipe. —

Cependant la nuit était venue, et une nuit fort sombre. De légers nuages augmentaient l’obscurité, et, selon toute apparence, on ne pouvait compter ni sur la lune, ni sur les étoiles.

Les boursiers finirent par s’apercevoir qu’ils s’étaient égarés, et que depuis longtemps ils avaient quitté le droit chemin. Après avoir cherché le sentier avec les pieds, le philosophe s’écria tout à coup:

— Mais où donc est le chemin? -

Le théologien réfléchit longtemps, et lui répondit:

— Effectivement la nuit est noire. —

Le rhétoricien s’en alla de côté et d’autre, se coucha sur le ventre, et se mit à chercher le chemin en rampant; mais ses mains ne rencontrèrent que les terriers creusés par les renards. Autour d’eux ce n’était qu’une immense steppe ou jamais personne n’avait laissé des traces de chariot. Les voyageurs firent de nouveaux efforts pour aller en avant. Mais l’endroit devenait de plus en plus sauvage. Le philosophe essaya de crier; sa voix s’étendit et se perdit dans l’air. Seulement, quelques secondes après, ils entendirent comme un léger gémissement qui ressemblait à un lointain hurlement de loup.

— Diable! que faire? dit le philosophe.

— Eh bien, quoi? répondit le théologien, il faut nous arrêter et passer la nuit dans les champs.

Puis il mit sa main dans sa poche pour en tirer son briquet et rallumer sa pipe. Mais le philosophe ne pouvait admettre une telle proposition. Il avait coutume de manger, avant de dormir, un demi-poud [6] de pain avec quatre livres de saindoux, et il sentait dans son estomac un vide insupportable. En outre, malgré son caractère jovial, le philosophe craignait un peu les loups.

— Oh! non, Haliava, ce n’est pas possible, dit-il; comment se coucher comme un chien, sans avoir soupé? Essayons encore; peut-être trouverons-nous enfin quelque habitation; peut-être aurons-nous encore la consolation de boire un verre d’eau-de-vie avant de dormir. —

Au mot d’eau-de-vie, le théologien cracha de côté, et ajouta:

— C’est vrai, il ne faut pas rester ici. —

Les boursiers se remirent donc en marche, et, à leur grande joie, ils entendirent dans l’éloignement l’aboiement d’un chien. Après avoir écouté avec attention d’où venait cette voix amie, ils se dirigèrent avec plus de courage de ce côté, et quand ils eurent marché quelque temps encore, ils aperçurent de la lumière.

— Un village! un village! — s’écria le philosophe.

Ses conjectures ne le trompaient pas. Au bout de peu d’instants, ils rencontrèrent un petit hameau qui ne se composait que de deux maisons réunies par la même cour. On voyait de la lumière à une fenêtre, et une dizaine de pruniers élevaient leurs tiges au-dessus de la haie. En regardant par les fentes de la porte, les étudiants aperçurent une vaste cour remplie de chariots de tchoumakis [7]. En ce moment quelques rares étoiles brillèrent au ciel.

— Eh bien! frères, dit le philosophe, ne restez pas en arrière. Coûte que coûte, il faut qu’on nous laisse entrer. —

Les trois savants frappèrent ensemble à la porte, et s’écrièrent tout d’une voix:

— Ouvrez! —

La porte cria sur ses gonds, et les boursiers virent apparaître devant eux une vieille femme vêtue de peau de mouton.

— Qui est là? dit-elle en toussant sourdement.

— Laisse-nous passer la nuit chez toi, bonne femme; nous nous sommes égarés. Il fait aussi mauvais dans les champs que dans un ventre affamé.

— Et quelles gens êtes-vous?

— Des gens inoffensifs, le théologien Haliava, le philosophe Brutus et le rhétoricien Gorobetz.

— Impossible, murmura la vieille; nos chambres sont pleines de monde, et tous les coins de la maison remplis. Où vous mettrais-je? Vous êtes tous si grands et si forts que la maison s’écroulera si je vous y loge. Je connais ces philosophes et ces théologiens; si l’on commence à recevoir de pareils ivrognes, ils nous dévoreront, et briseront tout, par-dessus le marché. Allez-vous-en, allez-vous-en, il n’y a pas de place ici pour vous.

— Prends pitié de nous, bonne femme, ne laisse pas périr des âmes chrétiennes. Mets-nous où tu voudras, et si nous faisons.... enfin n’importe quoi.... que nos mains se dessèchent, et qu’il nous arrive ce que Dieu seul peut savoir. —

La vieille parut céder à leurs instances.

— Bien, dit-elle après un moment de réflexion; je vais vous laisser entrer. Mais je vous placerai tous trois en différents endroits, car je ne serais pas tranquille si je vous savais ensemble.

— Fais ta volonté, nous n’avons rien à redire, répliquèrent les étudiants. —

La porte cria de nouveau, et ils entrèrent dans la cour.

— Eh bien, bonne femme, dit le philosophe tout en la suivant, serait-il possible.... quelque chose.... hein? il me semble qu’on me circule dans le ventre avec des roues de chariot. Je n’ai pas eu, depuis ce matin, une mie de pain dans la bouche.

— Voyez-vous! voyez-vous! s’écria la vieille. Non, je n’ai rien de ce quelque chose, absolument rien. Je n’ai pas chauffé mon poêle d’aujourd’hui.

— Nous aurions payé tout cela demain, reprit le philosophe, comme il faut, argent comptant. Oui certes, se dit-il à voix basse, compte là-dessus....

— Marchez, marchez, et soyez contents de ce que l’on vous donne, grands seigneurs que vous êtes. —

En écoutant de telles paroles, le philosophe Thomas devint triste et abattu. Mais tout à coup son nez flaira une odeur de poisson séché. Il jeta un coup d’œil sur les grègues du théologien qui marchait devant lui, et aperçut une énorme queue de poisson qui sortait de sa poche. Le théologien avait eu le temps de voler tout un carass [8] dans l’un des chariots de la cour. Il n’avait pas fait ce vol pour manger le poisson, mais seulement par habitude; et comme il avait déjà complétement oublié sa prise, comme il cherchait à découvrir quelque autre chose bonne à prendre, avec l’intention de ne pas laisser même une roue cassée qui se trouvait par là, le philosophe Thomas enfonça sa main dans la poche d’Haliava comme dans la sienne propre, et en tira le poisson. La vieille distribua les étudiants dans leurs gîtes. Elle introduisit le rhétoricien dans la maison, puis elle enferma le théologien dans une petite chambre vide, et le philosophe dans un enclos de moutons, vide aussi.

Resté seul, le philosophe mangea en un instant son poisson sec, parcourant du regard la clôture de son enclos, donna un coup de pied à un cochon curieux qui passait son groin par une fente, et se coucha sur le côté droit pour dormir comme un mort. Tout à coup la petite porte basse de l’enclos s’ouvrit, et la vieille entra en se courbant.

— Eh bien, que viens-tu faire ici? dit le philosophe. —

Mais la vieille allait droit a lui, les bras ouverts.

— Eh, eh, pensa le philosophe; mais non, mon pigeonneau, tu es trop dur. —

Il se roula deux pas en arrière. La vieille, sans plus de cérémonie, s’approcha de nouveau.

— Écoute, bonne femme, dit le philosophe, nous sommes en carême, et je suis un tel homme que, pour mille slotis, je ne toucherais de la viande. —

Cependant la vieille étendait toujours les bras et tâchait de l’attraper, sans lui dire un mot. Une terreur subite saisit le philosophe, surtout quand il vit les yeux de la vieille étinceler tout à coup.

— Femme, que veux-tu? va-t’en, va-t’en avec Dieu, — s’écria-t-il.

Mais elle, toujours sans répondre, le saisit avec les deux mains. Il se lève tout d’une pièce, avec l’idée de fuir. La vieille se place devant la porte, plonge sur lui son regard flamboyant, et recommence de marcher à sa rencontre. Le philosophe veut la repousser; mais, à sa grande surprise, il s’aperçoit que ses mains ne peuvent se lever, ni ses jambes remuer de place. Sa voix même cesse de retentir; il dit des paroles qui n’ont point de son. Seulement, le cœur lui bat avec violence. Il voit la vieille s’approcher de lui, le saisir, lui croiser les deux bras sur la poitrine, lui courber la tête, et s’élancer avec agilité d’un chat sur ses épaules; puis elle le frappe avec son balai, et le voilà qui se jette en avant, piaffant comme un cheval.




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Дата добавления: 2015-06-28; Просмотров: 198; Нарушение авторских прав?; Мы поможем в написании вашей работы!


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