Une annonce

Texte 1

Je me présente: Marie Constance G…, 30-40 ans, un mari, pas d’enfants, pas de problèmes. Mon amie Françoise, rencontrée la semaine dernière, m’a dit: «tu as une merveilleyse voix, c’est idiot de n’en rien faire, et plus idiot encore de rester inactive. Une femme doit absolument avoir une occupation à notre époque. Et si tu passais une annonce pour proposer d’aller faire la lecture à domicile chez les gens?» Françoise est charmante, mais elle a souvent des idées bien étranges.

Me voilà pourtant devant le type de l’agence qui prend les texts des annonces. Il hoche la tête, soupier, relit mon petit papier. «Jeune femme propose lecture à domicile: texts littéraires, texts documentaries, texts divers. Suit mon numero de telephone».

- Ce que vous proposez est très inabituel, dit-il. Et il me propose d’enlever «jeune femme».

- Pour mettre quoi?

- Pour mettre «personne».

- Comment personne?

- Oui, il faut dire: «Personne susceptible de lire à domicile propose etc.»

- Mais c’est absurd, on ne va rien comprendre à l’annonce!

- Bon, si vous y tenez, on va la passer comme ça, après tout c’est votre affaire… Mais il faut enlever votre numéro de téléphone et donner l’adresse de l’agence.

En sortant de l’agence j’ai un peu peur. Je me demande qui vraiment peut être intéressé par mon annonce. J’imagine très mal.

… me voici maintenant devant «mon vieux maître». Col roulé, veston de tweed, la pipe, un air de bon chien. Le cher Roland Sora me voit toujours avec plaisir. Il a été mon professeur, à la Faculté des Lettres, il y a 15 ans et j’ai gardé avec lui une relation d’amitié et de confiance. Je viens de temps en temps bavarder avec lui dans son bureau et lui demander conseil.

Je lui expose mon idée. Je sens qu’elle l’étonne, mais qu’il ne veut pas le montrer. Tout est possible, dit-il, pourquoi pas la lecture à domicile? Mais il ne me cache pas son scepticisme. Je lui dit que je voudrais demander conseil sur les texts que je pourrais choisir pour mes audituers. Il réfléchit. Il ne faut pas, dit-il, proposer des texts rasoirs: pas de grands oeuvres, pas de Proust, pas Maupassant? Il n’y a rien de mieux que Maupassant, crois-moi, Marie Constance, pour tous les ages, tous les gouts, tous les pays… Il a pris sur les étagères un beau livre de Maupassant, il tourne les pages, il cherche. Il faut choisir, dit-il, des nouvelles fantastiques, tu es sure du success…

Voilà qu’à ma surprise une première lettre vient d’arriver à l’agence. C’est une femme à l’écriture maladroit qui dit que son fils, âgé de 14 ans, est handicapé, qu’elle le garde à la maison et s’occupe de lui, mais qu’il a surement besoin de contacts exterieurs.

Je vais voir cette femme. Elle est très aimable, très «maman attentive». Mais je comprends vite qu’elle est réellement malheureuse et réellement dévouée à son enfant. Avec un bon sens pratique elle me demande tout de suite mon tariff. Justement, je n’ai pas pensé à mon tariff. Je l’ai complètement oublié. Incorrigible. Idiote. Quand on propose des services, on prévoit un tariff. Je réponds que je vais bientôt lui communiqué mes tariffs par écrit, sous la forme d’une brochure où sont exposés mes methods et mes programmes. Elle a l’air ravi.

Moi aussi, je suis heureuse d’avoir trouvé mon premier client.

D’après R. Jean

Дата добавления: 2014-12-17