Les fonds souverains : nouveaux ogres du busines mondial

III

II

I

VOCABULAIRE

aggravation f	-	обострение
anticiper qch	-	предвосхищать
déclin m	-	упадок
dépasser qch	-	превосходить
être sous la coupe de	-	быть в зависимости
instauration f	-	установление
régner vi	-	царствовать
rural,-e	-	сельский

Le fondateur de PlaNet Finance est convaincu que le triomphe du marché favorisera l’instauration de la démocratie dans la plupart des pays. Il s'attend au déclin des Etats-Unis, à une aggravation des inégalités et à la montée en puissance des multinationales.

Capital: Bien que l'avenir de l'humanité soit imprévisible, vous prenez le risque, dans votre dernier livre, de l’anticiper. Pourquoi votre scénario serait-il le bon et pas les mille autres que l'on pourrait aussi bien imaginer?

Jacques Attali: Il est vrai que toutes sortes d'événements pourraient orienter notre futur proche dans un sens ou dans un autre. Par exemple, l'usage de l’arme nucléaire par la Corée du Nord, le déferlement d'un virus meurtrier dérivé de celui de la grippe aviaire, ou encore une pénurie de pétrole qui interviendrait plus tôt que prévu, dans seulement quelques décennies. Mais ces «accidents» n'auraient probablement qu'un impact temporaire sur l'évolution du monde, qui est gouvernée par l'«histoire longue». Depuis que la démocratie et le marché vont de pair, les populations rurales ont émigré vers les villes, les désirs des citoyens sont canalisés vers les objets et les services marchands, l'espace géographique où règne la liberté s'étend sans cesse. Voilà les tendances lourdes qui constituent mon point de départ.

Capital: Comment voyez-vous la suite?

Jacques Attali: Les tendances que je viens d'évoquer se poursuivront. L'urbanisation va continuer, le marché élargir son rayon d'action, le capitalisme imposer la démocratie dans les pays qui ne la connaissent pas encore. Parlons d'abord de la croissance urbaine. Elle va devenir phénoménale. Il y avait 80 villes de plus de 1 million d'habitants en 1950, elles seront 550 en 2015. Une grande partie des habitants des pays émergents vont quitter le monde rural: en 2035, la population urbaine du Sud aura pratiquement doublé, pour atteindre 4 milliards d'individus. En 2050, plus de 1 milliard d'Asiatiques vivront dans 50 villes dépassant 20 millions d'habitants. Nombre d'entre elles ne pourront construire la voirie, les hôpitaux, les écoles ou les égouts nécessaires pour accueillir la masse des nouveaux venu. Certains quartiers seront donc une juxtaposition anarchique d'habitation. Les zones de non-droit, qui existent déjà à Karachi, Rio, Kinshasa ou Lagos, vont se multiplier. Elles seront sous la coupe de puissantes mafias. Et les riches vivront de plus en plus dans des enclaves aux allures de bunkers protégés par des milices privées.

Capital: L'Asie deviendra-t-elle la principale zone industrielle de la planète?

Jacques Attali: Oui. Dans un peu plus de vingt ans, sa production dépassera la moitié de celle du monde. Au rythme actuel, le PIB de la Сhine dépassera celui du Japon en 2015, et celui des Etats-Unis en 2040. Quant à l’Inde, elle deviendra la troisième puissance économique mondiale. Des centaines de millions d'Asiatiques vont ainsi entrer dans la classe moyenne, et leurs dirigeants devront leur offrir une assurance-maladie, un système de retraite, des infrastructures de qualité, un système éducatif de haut niveau et surtout un Etat de droit. Je ne crois pas que les partis communistes chinois et vietnamien soient capables de mener à bien cette transformation. A terme, l'enrichissement de leurs pays les condamnerait. D'ailleurs aucun parti au monde n'est jamais resté au pouvoir plus de soixante-dix ans et le PC chinois règne à Pékin depuis déjà cinquante-huit ans. Le risque, c'est qu'au cours de sa transition vers la démocratie la Chine soit déstabilisée et éclate en plusieurs nations, comme l'URSS avant elle.

Capital: D'autres pays basculeront-ils dans la démocratie?

Jacques Attali: C'est fort probable, car l’économie de marché conduit le libéralisme politique à progresser. Nous avons déjà vu la dictature tomber en Grèce, en Espagne, au Chili, au Brésil, en Turquie, en Corée du Sud et dans les pays de l'Est. Aujourd'hui, plus de 80 nations ont un pouvoir exécutif contrôlé par un Parlement et respectant les principaux droits de l'homme. Le développement des classes moyennes dans les pays émergents devrait encore allonger cette liste. L'Egypte, le Nigeria et même l'Iran y figurent à mon avis.

8. Répondez aux questions:

1.	Quels événements pourraient influencer l’histoire à court terme?
2.	Quelles sont les prévisions de J.A. concernant l’urbanisation?
3.	Comment le développement économique changerait le systhème politique des pays asiatiques?
4.	Quels changements l’économie de marché pourrait-t-elle provoquer en Egypte, en Iran, au Nigéria?

9. Commentez la phrase:

Certains quartiers seront une juxtaposition anarchique d'habitation.

VOCABULAIRE

affronter des difficultés	-	встретить трудности
confondre (se)	-	смешиваться; расплываться
endetter (s’)	-	залезать в долги
mettre en œuvre	-	разрабатывать
pénaliser	-	наказывать
précariser (se)	-	терять стабильность
supprimer vt	-	уничтожать
taux m d'intérêt	-	процентная ставка

Capital: Les Etats-Unis resteront-ils l'hyperpuissance qui domine le monde?

Jacques Attali: Sans doute pas au-delà de 2030. Depuis que le capitalisme existe, le cœur du pouvoir, c'est-à-dire le lieu qui finance les projets les plus créatifs, met en œuvre les technologies nouvelles et contrôle politiquement et militairement les communications et les sources de matières premières, s'est déplacé. Il a successivement été situé à Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, puis aux Etats-Unis. Aujourd'hui, le pouvoir politique de Washington, le pouvoir financier de New York et le pouvoir d'innovation de la Californie forment un trépied qui semble indestructible. Mais le modèle américain va affronter d'ici à 2030 de grandes difficultés. Il sera de plus en plus rejeté, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en Europe, en Amérique du Sud et en Asie. Les entreprises américaines comprendront que leurs intérêts ne se confondent pas avec celui du gouvernement de Washington, et elles garderont leurs profits à l'extérieur du pays. Pour sa part, la classe moyenne va continuer à se précariser et à s'endetter, et elle souffrira de l'aggravation des inégalités. Enfin, le financement des déficits budgétaire et commercial des Etats-Unis sera de plus en plus ardu[6], et nécessitera des taux d'intérêt élevés. Un jour, la direction du monde deviendra hors de portée des finances, de l'armée et de la diplomatie américaine. L'«hyperpuissance» d'aujourd'hui se recentrera alors sur la résolution de ses problèmes intérieurs et le bien-être de ses habitants. Ce jour-là, pour la première fois, le marché mondial fonctionnera sans «cœur».

Capital: Aucun pays ne prendra la place des Etats-Unis?

Jacques Attali: Non, comme ce fut le cas après la chute de l'Empire romain. Les centres régionaux comme Shanghai ou Tokyo seront trop petits pour prétendre diriger la planète, et surtout ils n'auront pas envie de prendre le pouvoir. Quant à l'Union européenne, elle ne réussira probablement pas à se doter d'institutions politiques, militaires et sociales intégrées dans les vingt ans qui viennent. Nous entrerons donc dans une phase au cours de laquelle le marché sera polycentrique, avec des puissances majeures sur chaque continent. Les Etats-Unis, l'Union européenne, le Brésil (qui pourrait devenir la quatrième puissance économique mondiale vers 2040), le Mexique, la Chine, la Corée, le Japon (qui aura perdu des habitants et ne sera plus que la cinquième économie mondiale), la Russie, voire le Canada, l'Afrique du Sud et l'Australie seront les principaux acteurs de ce nouveau monde.

Capital: Pensez-vous que ces différents centres de pouvoir s'uniront pour mettre en place une gouvernance mondiale?

Jacques Attali: Il y aura un jour, j'en suis persuadé, un gouvernement mondial. Mais il faudra probablement un siècle et une énorme catastrophe (conflit nucléaire, réchauffement excessif de la planète...) pour qu'on se résolve enfin à supprimer les frontières. En 1929, Aristide Briand et John M.Keynes avaient écrit un texte affirmant qu'il ne fallait pas humilier l'Allemagne en exigeant d'elle des réparations, car cela l'inciterait à devenir une dictature agressive. Selon eux, le meilleur moyen de supprimer ce risque était de créer un marché commun européen. On connaît la suite, et les tourments que l'Europe a dû endurer avant de s'unir... Le monde traversera de la même façon de fortes turbulences avant qu'un gouvernement mondial voie le jour.

Capital: Les Etats du futur seront-ils aussi puissants que ceux d'aujourd'hui?

Jacques Attali: Non, car les multinationales financières et industrielles s'empareront de prérogatives qui relèvent actuellement de la souveraineté des nations. Elles géreront les services d'éducation et de santé, l'assurance retraite et l'administration des droits sociaux. Elles vendront les services de polices, d'armées et d'agences de renseignements privées à d'autres entreprises ou à des groupes de riches particuliers. Du coup, les recettes fiscales des Etats diminueront. On achètera ces services privés soit en payant directement, soit au moyen de primes d'assurance. La puissance de l'industrie de l'assurance deviendra donc énorme, d'autant qu'elle profitera аussi de la montée des risques dus au vieillissement, à l'insécurité urbaine, aux catastrophes provoquées par les dérèglements climatiques. Les compagnies auront le moyen, grâce aux progrès des technologies de surveillance, de tout savoir de leurs clients. Elles pénaliseront les fumeurs, les buveurs, les obèses, les gaspilleurs... Chacun d'eux, particulier ou entreprise, devra accepter qu'on contrôle la conformité de son comportement aux normes.

9. Répondez aux questions:

1.	Les Etats Unis garderont-ils leur leadership dans l’avenir? Quel pays prendrait leur place?
2.	La création du gouvernement mondiale est-elle possible?
3.	Les Etats seraient-ils aussi puissants qu’aujourd’hui?

10. Commentez la phrase:

... les multinationales financières et industrielles s'empareront de prérogatives qui relèvent actuellement de la souveraineté des nations.

VOCABULAIRE

atout m	-	преимущество
épuisement m	-	истощение
freiner vt	-	тормозить
incarner vt	-	воплощать
mettre à part	-	не принимать во внимание
pénurie f	-	нехватка, недостаточное количество
plafonner vi	-	достигать высшей точки, максимума
précarité f	-	нестабильность, непостоянство
pression f migratoire	-	миграционная волна
rendement m	-	рентабельность

Capital: Mis à part l'assurance, quelles seront les industries les plus prospères?

Jacques Attali: Pour fuir la précarité, les citoyens voudront se distancier de la réalité quotidienne. Les industries de la distraction (sport, tourisme, spectacles vivants, cinéma, télévision et multimédia, mais aussi commerce sexuel et drogues) sont donc promises à un bel avenir. En outre, comme tout le monde sera connecté en tous lieux à l'ensemble des réseaux d'information et que tous les objets de la vie quotidienne (produits alimentaires, vêtements, véhicules, appareils ménagers...) seront communicants, les firmes spécialisées dans les technologies de l'information continueront à croître et à prospérer.

Capital: Ne craignez-vous pas un ralentissement de la croissance dû à l'épuisement des ressources naturelles et au réchauffement climatique?

Jacques Attali: Croire que ces menaces vont précipiter l'économie mondiale dans le mur est une vision réductionniste. D'après les connaissances scientifiques actuelles, la pénurie d'énergie n'est pas pour demain. Il suffirait d'ailleurs d'augmenter les prix des combustibles fossiles qui sont aujourd'hui très bas, pour que leur consommation baisse. Le problème de l'eau est plus grave: il n'y a pas de rareté à proprement parler, car nous pouvons dessaler l'eau des mers. Mais des problèmes de coût et de transport se poseront. Quant à la production agricole, elle devra presque doubler d'ici à 2050 pour nourrir toute la population, alors que les rendements plafonnent et que 5 milliards d'hectares cultivables disparaissent chaque année. L'accès à l'eau et l'alimentation des plus pauvres ne seront donc pas forcément assurés. Enfin, en ce qui concerne le réchauffement climatique, l'état actuel du débat politique et l'absence de réaction des principaux pollueurs laissent supposer que les émissions de CO₂ ne seront pas réduites à temps pour empêcher la hausse des températures. Faute de maîtriser l'évolution du climat, il va falloir s'y adapter. Cela sera très difficile pour les deux milliards de personnes qui vivent dans des zones menacées de désertification. Il est donc probable que la pression migratoire vers les pays riches va encore augmenter.

Capital: Autrement dit, même si les problèmes écologiques ne freinent pas la croissance, ils aggraveront le sort des populations les plus pauvres...

Jacques Attali: Oui. Le monde du futur sera de toute façon plus inégalitaire, car la croissance sera moins riche en emplois, et les Etats affaiblis ne pourront plus équiper les villes et fournir aux pauvres des revenus d'assistance. Le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour pourrait passer de 2,5 à 3,5 milliards. Pour cette population, la rareté croissante de l'eau et le renchérissement des ressources essentielles sera dramatique.

Capital: Quelle sera la place de la France dans le monde de demain?

Jacques Attali: Alors que le mieux-être et la distraction seront les maîtres mots, le pays qui incarne la qualité de vie et qui est leader mondial du tourisme et du luxe dispose d'atouts majeurs pour réussir. En outre, la France est bien placée aussi dans l'assurance, qui va devenir l'une des premières industries mondiales. Elle pourrait donc renforcer sa puissance économique au cours du XXI^e siècle. A condition qu'elle le veuille...

Propos recueillis par Patrice Piquard

Capital Mai 2007

11. Répondez aux questions:

1.	Quelles industries seront les plus prospères?
2.	Quelle est l’opinion de J.A. sur le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources naturelles? La partagez-vous? Quels en sont vos arguments?
3.	Le monde à venir serait-il plus égalitaire? Quelle place occupera la France dans ce monde?

12. Commentez la phrase:

... tous les objets de la vie quotidienne (produits alimentaires, vêtements, véhicules, appareils ménagers...) seront communicants.

13. Traduisez les termes en vous basant sur le texte; dites dans quel contexte ils sont évoqués:

a)

basculer dans	multinationale f
bien-être m	offrir une assurance maladie
combustibles m fossiles	pays m émergent
éclater en plusieurs nations	pénurie f de pétrole
élargir son rayon d’action	puissance f économique
imposer la démocratie	recettes f fiscales

b)

установление демократии	процентные ставки
исполнительная власть	устранить границы
усиление неравенства	cоответствие поведения нормам
правовое государство	располагать преимуществами
рост городов	рыночная экономика

14. Ayant relu le texte faites un résumé ecrit en 400-420 mots de la conception de J.A.

Dites lesquelles de ses idées vous acceptez et lesquelles vous refusez?

Texte 3

15. Traduisez:

bon du trésor	fonds souverains	place de Paris
CAC 40	fonds spéculatifs	prise de participation
crise de subprimes	golden share	prise du contrôle
effet de levier	hedge funds	technique LBO
fonds d’ivestissement	OPA	titrisation
fonds opaques	pays émergents

Les joyaux français particulièrement convoités

Sanofi-Aventis: champion mondial de l’industrie pharmaceutique, cette pépite du CAC 40 fait partie des principales enterprises ciblées par les pays du Moyen-Orient.

Bouygues: pris d’une frénésie de construction, les pays du Golfe lorgnent notre champignon national, numéro 1 du secteur.

EADS: après Dubaï et la Russie, le Qatar souhaiterait rentrer dans le capital de notre fleuron[7] de l’aéronautique.

Дата добавления: 2014-12-17