deChateaubriand à Péguy, en passant par Victor Hugo et HUYSMANS, la cathédrale êothiquea suscité toute une littérature. Et certes, les mots ne manquent pas pour célébrer ces immenses oraisons de pierre, que la foi médié- vale a lancées de la glèbe vers le ciel...
Mais cette fois, l'architecture n'est pas seule en cause: les statues, les rosaces décoratives, les verrières témoignent, elles aussi, en faveur d'un art presque surhumain à force de noblesse et de spiritualité.
LA CATHÉDRALE DE CHARTRES
Cette basilique, elle était1 le suprême effort de la matière cherchant à s'alléger, rejetant, tel qu'un lest, le poids aminci de ses murs, les remplaçant par une substance moins pesante et plus lucide, substituant à l'opacité de ses pierres l'épiderme diaphane2 des vitres.
Elle se spiritualisait, se faisait tout âme, tout prière, lorsqu'elle s'élançait vers le Seigneur pour le rejoindre; légère et gracile, presque impondérable, elle était l'expression la plus magnifique de, la beauté qui s'évade de sa gangue' terrestre, de la beauté qui se séraphise4. Elle était grêle et pâle comme ces Vierges de Roger Van der Weyden qui sont si filiformes, si fluettes, qu'elles s'envoleraient si elles n'étaient en quelque sorte retenues -ici-bas par le poids de leurs brocarts5 et de leur traîne. C'était la même conception mystique d'un corps fuselé, tout en longueur, et d'une âme ardente qui, ne pouvant se débarrasser complètement de ce corps, tentait de l'épurer, en le réduisant, en l'amenuisant, en le rendant presque fluide*.
Elle stupéfiait avec l'essor éperdu de ses voûtes et la folle splendeur de ses vitres. Le temps était couvert et cependant toute la fournaise de pierreries brûlait dans les lames des ogives, dans les sphères embrasées des rosés6
Là-haut, dans l'espace, tels que des salamandres7 des êtres humains, avec des visages en ignition8 et des robes en braises, vivaient dans un firmament de feu; mais ces incendies étaient circonscrits, limités par un cadre incombustible de verres plus foncés qui refoulait la joie jeune et claire des flammes, par cette espèce de mélancolie, par cette apparence de côté plus sérieux et plus âge que dégagent les couleurs sombres. L'hallali9 des rouges, la sécurité limpide des blancs, l'alléluia répété des jaunes, la gloire virginale desbleus, tout le foyer trépidant des verrières s'éteignait quand il s'approchait de cette bordure teinte avec desrouilles de fer, des roux de sauces, des violets rudes de grès, des verts de bouteille, des bruns
d'amadou10 des noirs de fuligine", des gris de cendre**.
Et, ainsi qu'à Bourges, dont la vitrerie est de la même époque, l'influence de l'Orient était visible dans les panneaux de Chartres, Outre que les personnages avaient l'aspect hiératique12, la tournure somptueuse ei barbare des figures de l'Asie, les cadres, par leur dessin, par l'agencemeni de leurs tons, évoquaient le souvenir des tapis persans qui avaient certainement fourni des modèles aux peintres, car l'on sait, par le Livre des métiers, qu'au xiiiA siècle l'on fabriquait en France, à Paris même, des tapis imités de ceux qui furent amenés du Levant par les Croisés.
Mais en dehors même des sujets et des cadres, les couleurs de ces tableaux n'étaient, pour ainsi dire, que des foules accessoires, que des servantes destinées à faire valoir une autre couleur, le bleu: un bleu splendide, inouï, de saphir13 rutilant, extra-lucide, un bleu clair et aigu qui étincelait partout, scintillait comme en des verres remués de kaléidoscope14, dans les verrières, dans les rosaces des transepts, dans les fenêtres du porche royal où s'allumait, sous des grilles de fer noir, la flamme azurée des soufres.
En somme, avec la teinte de ses pierres, et de ses vitres, Notre-Dame de Chartres était une blonde aux yeux bleus. Elle se personnifiait en une sorte de fée pâle, en une Vierge mince et longue, aux grands yeux d'azur ouverts dans les paupières en clarté de ses rosés; elle était la mère d'un Christ du Nord, d'un Christ de primitif des Flandres, trônant dans l'outremer d'un ciel et entourée, ainsi qu'un rappel touchant des Croisades, de ces tapis orientaux de verre.
Et ils étaient, ces tapis diaphanes, des bouquets fleurant le santal15 et le poivre, embaumant les subtiles épiées des Rois Mages; ils étaient une floraison parfumée de nuances cueillie — au prix de tant de sang! — dans les prés de la Palestine, et que l'Occident, qui les rapporta, offrait à la Madone, sous le froid climat de Chartres, en souvenir de ces pays du soleil où Elle vécut et où Son fils voulut naître***.
J.-K. huysmans. La Cathédrale (1898). Примечания:
1. Герой романа осматривает базилику, чем объясняется использование глаголь- ного времени imparfait. 2. Просвечивающая, прозрачная. 3. Порода, заключающая в себе минерал или драгоценный камень. 4. Становится подобной красоте серафимов 5. Парчи. 6. Розы, круглые многоцветные витражи. 7. По древнему поверью, саламан- дры способны жить в пламени. 8. В пламени. 9. Звук охотничьего рога, возвещающий, что олень затравлен. Здесь Гюисманс следует принятому в символизме соответствию
между цветом и звуком. 10. Трут: из истлевшего трута готовилась темно-коричневая краска. 11. Сажа: шла на изготовление черной краски. 12. Иератический, т.е. величест- венно-строгий. 13. Драгоценный камень синего цвета. 14. Калейдоскопа. 15 Сандал, кустарник с ароматной древесиной. Витражи наводят на мысль о Востоке и восточных благовониях.
Вопросы:
* Relever et étudier tous les termes employés ici pour traduire la beauté presque immatérielle lie la cathédrale.
** Par quels procédés l'écrivain parvient-il à rendre sensible le flamboiement des vitraux?
*** On essaiera de caractériser le style de Huysmans d'après cette page.
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