l'usage, du cimetière, et nous nous y reposâmes. Les murs de l'église en
granit à peine équarri et couvert de mousses, les maisons d'alentour
construites de blocs primitifs, les tombes serrées, les croix renversées et
effacées, les têtes nombreuses rangées sur les étages de la maisonnette qui
sert d'ossuaire, attestaient que, depuis les plus anciens jours où les saints de
Bretagne avaient paru sur ces flots, on avait enterré en ce lieu. Ce jour-là,
j'éprouvai le sentiment de 1 immensité, de l'oubli et du vaste silence où
s'engloutit la vie humaine avec un effroi que je ressens encore, et qui est
resté un des éléments de ma vie morale. Parmi tous ces simples qui sont là
à l'ombre de ces vieux arbres, pas un, pas un seul ne vivra dans l'avenir. Pas
un seul n'a inséré son action dans le grand mouvement des choses; pas un
seul ne comptera dans la statistique définitive de ceux qui ont poussé à
l'éternelle roue. Je servais alors le Dieu de mon enfance1, et un regard élevé
vers la croix de pierre, sur les marches de laquelle nous étions assis, et sur
le tabernacle qu'on voyait à travers les vitraux de l'église, m'expliquait tout
cela. Et puis, on voyait à peu de distance, la mer, les rochers, les vagues
blanchissantes, on respirait ce vent céleste qui, pénétrant jusqu'au fond du
cerveau, y éveille je ne sais quelle vague sensation de largeur et de liberté.
Et puis ma mère était à mes côtés; il me semblait que la plus humble vie
pouvait refléter le ciel grâce au pur amour et aux affections individuelles.
J'estimais heureux ceux qui reposaient en ce lieu.
Depuis j'ai transporté ma tente" et je m'explique autrement cette grande nuit. Ils ne sont pas morts, ces obscurs enfants du hameau; car la Bretagne vit encore, et ils ont contribué à faire la Bretagne; ils n'ont pas eu de rôle
dans le grand drame, mais ils ont fait partie de ce vaste chœur sans lequel le drame serait froid et dépourvu d'acteurs sympathiques. Et quand la Bretagne ne sera plus, la France sera, et quand la France ne sera plus, l'humanité sera encore, et éternellement l'on dira: «Autrefois, il y eut un noble pays, sympathique à toutes les belles choses, dont la destinée fut de souffrir par l'humanité et de combattre pour elle.» Ce jour-là le plus humble paysan qui n'a eu que deux pas à faire de sa cabane au tombeau, vivra comme nous dans ce grand nom immortel; il aura fourni sa petite part à cette grande résultante. Et quand l'humanité ne sera plus. Dieu sera, et l'humanité aura contribué à le faire, et dans son vaste sein se retrouvera toute vie, et alors il sera vrai à la lettre que pas un verre d'eau3, pas une parole qui aura servi l'œuvre divine du progrès ne sera perdue *.
L'Avenir de la Science, XII (1848). Примечания:
1. Через несколько лет Ренан утратит веру. 2. Я перенес свой шатер (в переносном ^ смысле). 3. Отсылка к Евангелию: "И кто напоит малых сих только чашею холодной воды..." (Матф., X, 42.)
Вопросы:
* A travers une anecdote d'une gracieuse simplicité, Renan s'élève aux plus hautes cimes. Appréciex cette éloquence sans effort. — Dans quelle mesure cette philosophie du Devenir a-t-elle subi l'influence de la pensée allemande, telle qu'elle s'exprime notamment( chez Hegel?
CHARLES PÉQUY (1873-1914)
L'ŒUVRE, ou plutôt l'action de CHARLES PÉGUY constitue un moment capital dans l'histoire de la conscience française. Car Péguy, c'est le socialisme et la foi chrétienne réconciliés, c'est la certitude qu'entre la Justice sociale et l'esprit de Charité il n'y a pas opposition, mais, bien au contraire, une indissoluble
fraternité...
D'ailleurs, quand, après sa conversion, il se tourne vers ses années de jeunesse où il a passionnément combattu dans les rangs des défenseurs de Dreyfus (v. p. 105, n. 1), il n'éprouve aucun regret, aucun besoin de se désavouer: c'était cette même «religion de la pauvreté temporelle» qui déjà l'appelait.
SOCIALISME ET CHARITÉ (1910)
Notre dreyfusisme' était une religion, je prends le mot dans son sens le plus littéralement exact, une poussée religieuse, une crise religieuse, et je conseillerais même vivement à quiconque voudrait étudier, considérer, connaître un mouvement religieux dans les temps modernes, bien caractérisé, bien délimité, bien taillé, de saisir cet exemple unique. J'ajoute que pour nous, chez nous, en nous, ce mouvement religieux était d'essence chrétienne, d'origine chrétienne, qu'il poussait de souche chrétienne, qu'il coulait de l'antique source. Nous pouvons aujourd'hui nous rendre ce témoignage. La Justice et la Vérité que nous avons tant aimées, à qui nous avons donné tout, notre jeunesse, tout, à qui nous nous sommes donnés tout entiers pendant tout le temps de notre jeunesse, n'étaient point des vérités et des justices de concept2, elles n'étaient point des justices et des vérités mortes, elles n'étaient point des justices et des vérités de livres et de biblio- thèques, elles n'étaient point des justices et des vérités conceptuelles, intel- lectuelles, des justices et des vérités de parti intellectuel, mais elles étaient organiques', elles étaient chrétiennes, elles n'étaient nullement modernes, elles étaient éternelles et non point temporelles seulement, elles étaient des Justices et des Vérités, une Justice et une Vérité vivantes. Et de tous les sentiments qui ensemble nous poussèrent, dans un tremblement, dans cette crise unique4, aujourd'hui nous pouvons avouer que de toutes les passions qui nous poussèrent dans cette ardeur et dans ce bouillonnement, dans ce gonflement et dans ce tumulte, une vertu était au cœur, et que c'était la vertu de charité. (...) Il est incontestable que dans tout notre socialisme même il y avait infiniment plus de christianisme que dans toute la Madeleine5 ensemble avec Saint-Pierre-de-Chaillot5, et Saint-Philippe-du- Roule5 et Saint-Honoré-d'Eylau5 II était essentiellement une religion de la pauvreté temporelle6 C'est donc, c'est assurément la religion qui sera jamais7 la moins célébrée dans les temps modernes. Infiniment, d'infiniment la moins chômée8. Nous en avons été marqués si durement, si ineffaçablement, nous en avons reçu une empreinte, une si dure marque, si indélébile que nous en resterons marqués pour toute notre vie temporelle, et pour l'autre. Notre socialisme n'a jamais été ni un socialisme parlementaire ni un socialisme de paroisse riche. Notre christianisme ne sera jamais ni un christianisme parlementaire ni un christianisme de paroisse riche. Nous avions reçu dès lors une telle vocation de 1p. pauvreté, de la misère même, si profonde, si intérieure, et en même temps si historique, si éventuelle, si événementaire9 que depuis nous n'avons jamais
pu nous en tirer, que je commence à croire que nous ne pourrons nous en tirer jamais. C'est une sorte de vocation. Une destination*.
Notre Jeunesse (1910). Примечания:
1. Дрейфусарство. Дрейфусарами называли тех, кто верил в невиновность капи- тана Дрейфуса, осужденного за государственную измену. 2 Простыми понятиями справедливости и истины. 3. Присущими нашему организму. 4. Дело Дрейфуса разде- лило Францию на два противоположных, почти враждебных лагеря 5. Церкви, распо- ложенные в богатых кварталах Парижа. 6. Мирская бедность, не имеющая отношения к религии. 7. A jamais, pour toujours. 8. Праздники которой будут менее всего праздно- ваться. 9. Trois adjectifs signifiant que cette vocation fut le fait des circonstances, des événements
Вопросы:
* Nous avons ici un style procédant par bonds et par élans, à l'image de la vie intérieure elle-même, et, comme elle, fait de retours et de corrections. Donnez-en des exemples. — Comment certains courants de la pensée catholique moderne procèdent-ils de Péguy?
ANDRÉ GIDE (1869-1951)
ilne faut pas exagérer l'importance des Nourritures terrestres (1897) dans l'œuvre d'ANDRÉ GIDE. L'auteur lui-même a souligné qu'il s'agissait d'un livre de jeunesse, écrit par un «convalescent» tout enivré de se découvrir guéri. Pourtant, c'est cette merveilleuse ivresse, cette joie débordante de sentir couler dans ses veines l'inépuisable ruissellement de la vie qui ont fait le succès de l'ouvrage. Et, s'il y a parfois quelque excès dans le paganisme frénétique qui s'en dégage. Les Nourritures terrestres n'en ont pas moins inspiré à toute une génération l'impérieux besoin, selon le mot de Gide lui-même, d'une «disponi- bilité» sans limite...
ÊTRE TOUJOURS TOUT ENTIER DISPONIBLE...
A dix-huit ans, quand j'eus fini mes premières études, l'esprit las de travail, le cœur inoccupé, languissant de l'être, le corps exaspéré par la contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je connus tout ce que vous savez: le printemps, l'odeur de la terre, la floraison
des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m'arrêter nulle part. Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur2 à travers les constantes mobilités. Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l'homme pense trouver un repos; et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées — tout ce qui compromet la justice —; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles (...).
Chaque jour, d'heure en heure, je ne cherchais plus rien qu'une pénétra- tion toujours plus simple de la nature. Je possédais le don précieux de n'être pas trop entravé par moi-même. Le souvenir du passé n'avait de force sur moi que ce qu'il en fallait pour donner à ma vie l'unité: c'était comme le fil mystérieux qui reliait Thésée à son amour passé, mais ne l'empêchait pas de marcher à travers les plus nouveaux paysages. Encore ce fil dut-il être rompu... Palingénésies4 merveilleuses! Je savourais souvent, dans mes courses du matin, le sentiment d'un nouvel être, la tendresse de ma perception. «Don du poète, m'écriais-je, tu es le don de perpétuelle ren- contre» — et j'accueillais de toutes parts. Mon âme était l'auberge ouverte au carrefour; ce qui voulait entrer, entrait*.
Les Nourritures terrestres. Livre IV (1897). Примечания:
1. Букв, запас, резерв. Имеется в виду способность воспринимать все идеи и чув- ства, на которых вырастает, воспитывается человек. 2. Пыл, страсть. Это слово очень любимо Жидом, который неоднократно восклицает: «Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur...» 3. Нить Ариадны, благодаря которой Тезей вышел из лабиринта. 4. Палин- генез (греч.) — возвращение к жизни, возрождение.
Вопросы:
* Montrez qu'il s'agit ici moins d'une page de pensée que d'une sorte d'effusion lyrique. Quel genre de séduction a-t-elle pu exercer sur la génération contemporaine d'André Gide?
GEORGES DUHAMEL (1884 1966)
Pas plus que Charles Péguy ou qu'André Gide, GEORGES DUHAMEL n'est un «penseur» de profession. Mais, pourvu d'une sensibilité vive et profonde, il a pris une position de philosophe en protestant avec véhémence contre les
du progrès industriel(Scènes de la Vie future) et leurs horribles conséquences en temps de guerre (Vie des Martyrs). A ses yeux, la Civilisation ne réside point dans les perfectionnements du machinisme, mais dans la sauvegarde des grands sentiments humains...
CIVILISATION
Il faudrait d'abord savoir ce que vous appelez civilisation. Je peux bien vous demander cela à vous, d'abord parce que vous êtes un homme intelligent et instruit, ensuite parce que vous en parlez tout le temps, de cette fameuse civilisation.
Avant la guerre, j'étais préparateur dans un laboratoire industriel. C'était une bonne petite place; mais je vous assure que si j'ai le triste avantage de sortir vivant de cette catastrophe1 je ne retournerai pas là-dedans. La campagne! La pure cambrouse2! Quelque part bien loin de toutes les sales usines, un endroit où je n'entende plus jamais grogner vos aéroplanes et toutes vos machines qui m'amusaient naguère, quand je ne comprenais rien à rien, mais qui me font horreur maintenant, parce qu'elles sont l'esprit même de cette guerre, le principe et la. raison de cette guerre!
Je hais le xxe siècle, comme je hais l'Europe pourrie et le monde entier, sur lequel cette malheureuse Europe s'est étalée, à la façon d'une tache de cambouis3. Je sais bien que c'est un peu ridicule de sortir de grandes phrases comme cela; mais bah! je ne raconte pas ces choses à tout le monde, et puis, autant ce ridicule-là qu'un autre! Je vous le dis, j'irai dans la montagne et je m'arrangerai pour être aussi seul que possible (...).
Croyez-le bien, monsieur, quand je parle avec pitié de la civilisation, je sais ce que je dis; et ce n'est pas la télégraphie sans fil qui me fera revenu- sur mon opinion. C'est d'autant plus triste qu'il n'y a rien à faire: on ne remonte pas une pente comme celle sur laquelle roule désormais le monde.
Et pourtant!
La civilisation, la vraie, j'y pense souvent. C'est, dans mon esprit, comme un chœur de voix harmonieuses chantant un hymne, c'est une statue de marbre sur une colline desséchée, c'est un homme qui dirait: «Aimez- vous les uns les autres!» ou: «Rendez le bien pour le mal!» Mais il y a près de deux mille ans qu'on ne fait plus que répéter ces choses-là (...).
On se trompe sur le bonheur et sur le bien. Les âmes les plus généreuses se trompent aussi, parce que le silence et la solitude leur sont trop souvent refusés. J'ai bien regardé l'autoclave4 monstrueux sur son trône. Je vous le dis, en vérité, la civilisation n'est pas dans cet objet, pas plus que dans les
pinces brillantes dont se servait le chirurgien. La civilisation n'est pas dans toute cette pacotille terrible; et, si elle n'est pas dans le cœur de l'homme, eh bien, elle n'est nulle part*.
Civilisation (1918).. Примечания:
\. Имеется в виду война 1914 -1918 гг. 2. «Voilà ce qu'il me faut!» — cambrouse (жарг.), глухая деревня, медвежий угол. 3. Отработанное машинное масло. 4. Стери- лизатор, емкость для кипячения хирургических инструментов (сцена происходит в операционной). 5. Безделушки, хлам, не имеющий реальной ценности.
Вопросы:
* Que faut-il penser de cette révolte de l'homme contre la machine/ — On rapprochera l'attitude de G. Duhamel de celles de Péguy et de Gide.
GEORGES BERNANOS (1888-1948)
AVANT d'être une des plus grandes voix que la Résistance française ait fait entendre pendant l'occupation, GEORGES BERNANOS s'était signalé comme un pamphlétaire redoutable et inspiré. Catholique, mais impitoyable pourfendeur des «bien-pensants» de toute espèce, il a exprimé avec force la nostalgie d'une fol militante aussi éloignée des tiédeurs de l'obéissance passive que du «réa- lisme» des «combinards de la dévotion».
A cet égard, l'un de ses personnages, le curé de Torcy, semble bien exprimer, dans son rude langage de prêtre flamand, l'idéal véhément de Bernanos.
LE CURÉ DE TORCY
Le curé de Torcy s'adresse au jeune curi d'Ambricourt (fas-dt-Calais), a qui il reproche de Muaquer d'énergie.
Il est devenu tout rouge et m'a regardé de haut en bas. «Je me demande ce que vous avez dans les veines aujourd'hui, vous autres jeunes prêtres. De mon temps, on formait des hommes d'Église — ne froncez pas les sourcils, vous me donnez envie de vous calotter1 —, oui, des hommes d'Église, prenez le mot comme vous voudrez, des chefs de paroisse, des maîtres, quoi, des hommes de gouvernement. Ça vous tenait un pays, ces gens-là, rien qu'en haussant le menton. Oh! je sais ce que vous allez me
dire: ils mangeaient bien, buvaient de même, et ne crachaient pas2 sur les cartes. D'accord! Quand on prend convenablement son travail, on le fait vite et bien, il vous reste des loisirs et c'est tant mieux pour tout le monde. Maintenant les séminaires nous envoient des enfants de chœur, des petits va-nu-pieds qui s'imaginent travailler plus que personne parce qu'ils ne viennent à bout de rien. Ça pleurniche au lieu de commander. Ça lit des tas de livres et ça n'a jamais été fichu3 de comprendre — de comprendre, vous m'entendez — la parabole de l'Époux et de l'Épouse4. (...) J'avais jadis —je vous parle de mon ancienne paroisse — une sacristaine5 épatante6, une bonne sœur de Bruges7 sécularisée8 en 1908, un brave cœur. Les huit premiers jours, astique que j'astique9, la maison du bon Dieu s'était mise à reluire comme un parloir10 de couvent, je ne la reconnaissais plus, parole d'honneur! Nous étions à l'époque de la moisson, faut dire11, il ne venait pas un chat, et la satanée12 petite vieille exigeait que je retirasse mes chaussures — moi qui ai horreur des pantoufles! Je crois même qu'elle les13 avait payées de sa poche. Chaque matin, bien entendu, elle trouvait une nouvelle couche de poussière sur les bancs, un ou deux champignons tout neufs sur le tapis de choeur14, et des toiles d'araignées — ah! mon petit! des toiles d'araignées de quoi faire un trousseau15 de mariée. «Je me disais: astique toujours, ma fille, tu verras dimanche.» Elle dimanche est venu. Oh! un dimanche comme les autres, pas de fête carillonnée16, la clientèle ordinaire, quoi. Misère! Enfin, à minuit, elle cirait et frottait encore, à la chandelle. Et quelques semaines plus tard, pour la Toussaint, une mission17 à tout casser18 prêchée par deux Pères rédemptoristes, deux gaillards19. La malheureuse passait ses nuits à quatre pattes entre son seau et sa vassingue20 — arrose que j'arrose21 — tellement que la mousse commençait de grimper le long des colonnes, l'herbe poussait dans les joints des dalles. Pas moyen de la raisonner, la bonne sœur! Si je l'avais écoutée, j'aurais fichu22 tout mon monde à la porte pour que le bon Dieu ait Ips pieds au sec, voyez-vous ça? Je lui disais: «Vous me rainerez en potions» — car elle toussait, pauvre vieille! Elle a fini par se mettre au lit avec une crise de rhumatisme articulaire, le cœur a flanché23 et plouf24! voilà ma bonne sœur devant saint Pierre*. En un sens, c'est une martyre, on ne peut pas soutenir le contraire. Son tort, ça n'a pas été de combattre la saleté, bien sûr, mais d'avoir voulu l'anéantir, comme si c'était possible. Une paroisse, c'est sale, forcément. Une chrétienté, c'est encore plus sale. Attendez le grand jour du Jugement, vous verrez ce que les anges auront à retirer des plus saints monastères, par pelletées — quelle vidange! Alors, mon petit, ça prouve que l'Église doit être une solide ménagère, solide et raisonnable. Ma bonne
sœur n'était pas une vraie femme de ménage: une vraie femme de ménage sait qu'une maison n'est pas un reliquaire25. Tout ça, ce sont des idées de poète**.»
Journal d'un Curé de Campagne (1936)
Примечания:
1. Надавать пощечин (разг.) 2. Не гнушаются (разг.) перекинуться в картишки 3. Способны (разг.). 4. В этой притче Супруг — это Христос, Супруга — христиан екая церковь. 5. Монашка, следящая за порядком в ризнице. On dit plutôt: sacristine 6 Поразительная, потрясающая (разг.). 7. Брюгге, город в Бельгии. 8. Живущая в ми- ру, но тем не менее принадлежащая церкви. 9. Изо всех сил наводила блеск (разг) 10. Помещение в монастыре, где принимают посетителей. 11. Надо сказать, отметить (разг.) И далее' в церкви не было ни единого прихожанина (из-за жатвы) 12. Чертова (разг). 13. Домашние туфли. 14. Хоры, место для певчих в церкви
15. Белье и носильные вещи, которые новобрачная приносит в дом как приданое
16. Праздник, отмечаемый колокольным благовестом. 17 Серия проповедей, которые произносят монахи, специально для этого направленные в приход 18 Приготов- ленная с огромными стараниями (разг). 19. Крепкими, жизнерадостными людьми, весельчаками. 20 Слово фламандского происхождения: половая тряпка. 21 Она во- всю намывала. 22 Я бросил бы (разг.). 23. Сердце сдало. 24. Хлоп! Бац! (звукоподр.). 25. Реликвиарий, рака со святыми мощами.
Вопросы:
* Etudiez le langage du curé de Torcy. Montrez qu'il est en rapport avec la personnalité de ce prêtre.
** Quel est le sens symbolique de l'anecdote contée ici?
ANDRÉ MALRAUX
(né en 1901)
ANDRE MALRAUX a pensé qu'il était dangereux -pour un artiste de se retrancher de son époque et de ses contemporains: car c'est courir le risque de perdre ce sens de la «fraternité», cette communication avec les autres hommes que seul peut assurer un art réellement engagé- Dans La Condition humaine (1933) tt n'hésite pas, sans faire acte de formel propagandiste, à militer aux côtés de ses personnages.
LA CONDITION HUMAINE
Les communistes viennent de soulever Shanghai contre les oppresseurs de la Chine, Européens ou grands féodaux asiatiques. Mais les nationalistes chinois, qui se sont, un temps, alliés aux communistes, font exécuter les chefs de l'insurrection. L'un de ceux-ci, Katovi, attend avec d'autres prisonniers le moment d'être brûlé vif dans une chaudière de locomotive; il pourrait, comme l'a fait son camarade Kyo, se suicider avec du cyanure de potassium; mais dans un élan de générosité, il donne son poison à deux de ses compagnons
«Hé la, dit-il à voix très basse. Souen, pose ta main sur ma poitrine, et prends dès que je la toucherai; je vais vous donner mon cyanure. Il n'y en a absolument que pour deux.»
Il avait renoncé à tout, sauf à dire qu'il n'y en avait que pour deux. Couché sur le côté, il brisa le cyanure en deux. Les gardes masquaient la lumière, qui les entourait d'une auréole trouble; mais n'allaient-ils pas bouger? Impossible de voir quoi que ce fût; ce don de plus que sa vie, Katow le faisan à cette main chaude qui reposait sur lui, pas même à des corps, pas même à des voix. Elle se crispa comme un animal, se sépara de lui aussitôt. Il attendit, tout le corps tendu. Et soudain, il entendit l'une des
deux voix:
«C'est perdu. Tombé.»
Voix à peine altérée1 par l'angoisse, comme si une telle catastrophe n'eût pas été possible, comme si tout eût dû s'arranger. Pour Katow aussi, c'était impossible. Une colère sans limites montait en lui mais retombait, combattue par cette impossibilité. Et pourtant! Avoir donné cela pour que cet idiot le perdît!
«Quand? demanda-t-il.
— Avant2 mon corps. Pas pu tenir quand Souen l'a passé; je suis aussi
. blessé à la main.
— Il a fait tomber les deux», dit Souen.
Sans doute cherchaient-ils entre eux. Ils cherchèrent ensuite entre Katow et Souen, sur qui l'autre était probablement presque couché, car Katow, sans rien voir, sentait près de lui la masse de deux corps. Il cherchait lui aussi, s'efforçant de vaincre sa nervosité, de poser sa main à plat, de dix centimètres en dix centimètres, partout où il pouvait atteindre. Leurs mains frôlaient la sienne. Et tout à coup une des deux la prit, la serra,
la conserva.
«Même si nous ne trouvons rien...» dit une des voix. Katow, lui aussi, serrait la main, à la limite des larmes, pris par cette pauvre fraternité sans visage, presque sans vraie voix (tous les chuchotements se ressemblent) qui lui était donnée dans cette obscurité contre le plus grand don qu'il eût
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jamais fait, et qui était peut-être fait en vain. Bien que Souen continuât à chercher, les deux mains restaient unies. L'étreinte devint soudain crispation:
«Voilà.» О résurrection!.. Mais:
«Tu es sûr que ce ne sont pas des cailloux?» demanda l'autre.
Il y avait beaucoup de morceaux de plâtre par terre.
«Donne!» dit Katow.
Du bout des doigts, il reconnut les formes.
Il les rendit — les rendit, — serra plus fort la main qui cherchait à nouveau la sienne, et attendit, tremblant des épaules, claquant des dents.
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