Tout à coup La Marseillaise1 retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C'était le peuple. Il se précipita dans l'escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d equinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba*.
On n'entendait plus que des piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l'étroit enfonçait une vitre; ou bien un vase, une statuette déroulait d'une console2, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges, la sueur en coulait à larges gouttes; Hussonnet fit cette remarque: «Les héros ne sentent pas bon! — Ah! vous êtes agaçant», reprit Frédéric.
Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s'étendait, au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entrouverte, l'air hilare et stupide comme un magot4. D'autres gravissaient l'estrade pour s'asseoir à sa place. «Quel mythe! dit Hussonnet. Voilà le peuple souverain!» Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant. «Saprelotte5! comme il chaloupe! Le vaisseau de l'État est ballotté sur une mer orageuse! Cancane6-t-il! cancane-t-il!»
On l'avait approché d'une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança. «Pauvre vieux!» dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu'à la Bastille, et brûlé.
Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait para; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des corbeilles de tapisserie. Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser? La canaille s'affubla ironiquement de dentelles et de cachemires7. Des crépines8 d'or s'enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d'autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d'honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice; les uns dan- saient, d'autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux9 avec de la pommade; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule10 accoudé sur un balcon; et le délire redoublait, au tintamarre1 ' continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d'harmonica12 (...).
Par les baies des portes, on n'apercevait dans l'enfilade des apparte- ments que la sombre masse du peuple entre les dorures, sous un nuage de poussière. Toutes les poitrines' haletaient; la chaleur de plus en plus devenait suffocante; les deux amis, craignant d'être étouffés, sortirent (...).
Ils avaient fait trois pas dehors, quand un peloton de gardes
municipaux" en capotes s'avança vers eux, et14 qui, retirant leurs bonnets de police, et découvrant à la fois leurs crânes un peu chauves, saluèrent le peuple très bas. A ce témoignage vainqueurs déguenillés se rengorgèrent. Hussonnet et Frédéric ne furent pas, non plus, sans en éprouver un certain plaisir.
Une ardeur les animait. Ils s'en retournèrent au Palais-Royal. Devant la rue Fromanteau, des cadavres de soldats étaient entassés sur de la paille. Ils passèrent auprès impassiblement, étant même fiers de sentir qu'ils faisaient bonne contenance.
Le palais regorgeait de monde. Dans la cour intérieure, sept bûchers flambaient. On lançait par les fenêtres des pianos, des commodes et des pendules. Des pompes à incendie crachaient de l'eau jusqu'aux toits. Des chenapans15 tâchaient de couper des tuyaux avec leurs sabres. Frédéric engagea un polytechnicien16 à s'interposer. Le polytechnicien ne comprit pas, semblait imbécile, d'ailleurs. Tout autour, dans les deux galeries, la populace, maîtresse des caves, se livrait à une horrible godaille17. Le vin coulait en ruisseaux, mouillait les pieds, les voyous buvaient dans des culs de bouteille, et vociféraient en titubant, «Sortons de là, dit Hussonnet, ce peuple me dégoûte.»
Tout le long de la galerie d'Orléans, des blessés gisaient par terre, sur des matelas, ayant pour couvertures des rideaux de pourpre; et de petites bourgeoises du quartier leur apportaient des bouillons, du linge. «N'importe! dit Frédéric, moi, je trouve le peuple sublime*.» Le grand vestibule était rempli par un tourbillon de gens furieux, des hommes voulaient monter aux étages supérieurs pour achever de détruire tout; des gardes nationaux18 sur les marches s'efforçaient de les retenir. Le plus intrépide était un chasseur19, nu-tête, la chevelure hérissée, les buffleteries20 en pièces. Sa chemise faisait un bourrelet entre son pantalon et son habit, et il se débattait au milieu des autres avec acharnement. Hussonnet, qui avait la vue perçante, reconnut de loin Amoux.
Puis ils gagnèrent le jardin des Tuileries, pour respirer plus à l'aise. Ils s'assirent sur un banc; et ils restèrent pendant quelques minutes les paupières closes, tellement étourdis, qu'ils n'avaient pas la force de parler. Les passants, autour d'eux, s'abordaient. La duchesse d'Orléans21 était nommée régente: tout était fini**.
1. В ту эпоху это еще была революционная песня. 2. Консоль, выступ в стене либо подставка в виде колонки или столика для установки декоративных предметов. Deouler — здесь скатываться вниз. 3. Балдахин над троном. 4. Гротескные статуэтки из фарфора (как правило, восточной работы). 5. Ругательство, что-то вроде "черт возьми!" 6. Раскачивается, как в канкане. 7. Кашемировые шали из тонкой шерстяной ткани, изготавливавшейся в Индии (в провинции Кашмир). 8. Бахрома. 9. Coiffure en bandeau* — женская прическа, при которой волосы укладываются за уши широкими гладкими прядями, разделенными прямым пробором. 10. Коротенькая трубка, "носогрейка". 11. Беспорядочный шум. 12. Имеется в виду стеклянная гармоника с набором стеклянных пластин разной длины, звук из которой извлекали, ударяя по ним палочкой. 13. Муниципальная гвардия, бывшая до этого на стороне правительства. 14. La conjonction et est ici destinée à empêcher l'équivoque sur l'antécédent (gardes municipaux). 15. Сброд, чернь. 16. Студенты 11олитехнической школы были на сторо- не революции. 17. Разгул в еде и питье. 18. Национальная гвардия по-прежнему была на стороне правительства Луи Филиппа. В ней служили главным образом представи- тели буржуазии. 19. Пехотинец, егерь (служащий в егерском полку). 20. Предметы солдатской амуниции, сделанные из буйволовой кожи. 21. Невестка Луи Филиппа, жена его старшего сына, умершего в 1842 г. Она была назначена регентшей, так как по закону о престолонаследии французский трон после отречения Луи Филиппа дол- жен был перейти к ее старшему, но еще малолетнему сыну, родившемуся в 1839 г.
Вопросы:
* Préciser l'attitude de Frédéric et celle de Hussonnet.
** On comparera ce tableau d'émeute avec: La mort de Gavroche, de Victor Hugo.
FIDÉLITÉ DANS LA DÉFAITE
(1870—1871)
Si c'est dans l'adversité qu'on découvre ses vrais amis, la France fut com- prendre, après le désastre de Sedan et le dur traité de Versailles, qui s'ensuivit, quel amour lui vouaient ses fils d'Alsace et de Lorraine. Combien furent-ils alors à abandonner leur domicile, leurs biens, leur famille, simplement parce qu 'ils ne pouvaient supporter de ne plus être Français! Ce fut un prodigieux exode, suscité par une sorte d'irrésistible instinct patriotique. MAURICE BARRES (1862 — 1923), Lorrain lui-même, a, dans Colette Baudoche, dépeint un drame de tous Içs temps, hélas! et que l'écrivain relate avec émotion.
Regarde cette route, en bas, disait-elle1, la route de Metz à Nancy. Nous y avons vu, ton grand-père et moi, des choses à peine croyables. C'était à la fin de septembre 1872 et l'on savait que ceux qui ne seraient pas partis le 1er octobre deviendraient Allemands. Tous auraient bien voulu s'en aller,
mais quitter son pays, sa maison, ses champs, son commerce, c'est triste, et beaucoup ne le pouvaient pas. Ton père disait qu'il fallait demeurer et qu'on serait bientôt délivré. C'était le conseil que donnait Monseigneur Dupont des Loges2. Et puis la famille de V... nous suppliait de rester, à cause du château et des terres. Quand arriva le dernier jour, une foule do personnes se décidèrent tout à coup. Une vraie contagion, une folie. Dans les gares, pour prendre un billet, il fallait faire la queue des heures entières. Je connais des commerçants qui ont laissé leurs boutiques à de simples jeunes filles. Croiriez-vous qu'à l'hospice de Gorze, des octogénaires abandonnaient leurs lits! Mais les plus résolus étaient les jeunes gens. même les garçons de quinze ans. «Gardez vos champs, disaient-ils au père et à la mère; nous serons manœuvres en France.» C'était terrible pour le pays, quand ils partaient à travers les prés, par centaines et centaines. Et l'on prévoyait bien ce qui est arrivé, que les femmes, les années suivantes, devraient tenir la charrue. Nous sommes montés, avec ton grand-père, de Gorze jusqu'ici, et nous regardions tous ces gens qui s'en allaient vers l'ouest. Л perte de vue, les voitures de déménagement se touchaient, les hommes conduisant à la main leurs chevaux, et les femmes assises avec les enfants au milieu du mobilier. Des malheureux poussaient leur avoir dans des brouettes. De Metz à la frontière, il y avait un encombrement comme à Paris dans les rues. Vous n'auriez pas entendu une chanson, tout le monde était trop triste, mais, par intervalles, des voix nous arrivaient qui criaient: «Vive la France!» Les gendarmes, ni personne des Allemands n'osaient rien dire; ils regardaient avec stupeur toute la Lorraine s'en aller. Au soir. le défilé s'arrêtait; on dételait les chevaux, on veillait jusqu'au matin dans les voitures auprès des villages, à Dornot, à Comy, à Novéant. Nous sommes descendus, comme tout le monde, pour offrir nos services à ces pauvres camps-volants3. On leur demandait: «Où allez-vous?» Beaucoup ne savaient que répondre: «En France...» (...) Nous avons pleuré de les voit ainsi dans la nuit. C'était une pitié tous ces matelas, ce linge, ces meubles entassés pêle-mêle et déjà tout gâchés. Il paraît qu'en arrivant à Nancy, ils s'asseyaient autour des fontaines, tandis qu'on leur construisait en hâte des baraquements sur les places. Mais leur nombre grossissait si fort qu'on craignait des rixes avec les Allemands, qui occupaient encore Nancy, et l'on dirigea d'office sur Vesoul plusieurs trains de jeunes gens... Maintenant, pour comprendre ce qu'il est parti de monde, sachez qu'à Metz, où nous étions cinquante mille, nous ne nous sommes plus trouvés que trente mille après le 1-er octobre*.
MAURICE BARRÉS. Colette Baudoche (1909)
Примечания:
1. Г-жа Бадош, мать Колетты. 2. Епископ Мсца. 3. В точном значении: отряды пе- хоты, рассредоточенные на местности для наблюдения за неприятелем. Впоследствии так стали называть цыган, таборы которых останавливались на ночлег у дороги. Здесь имеются в виду беженцы. 4. D'autorité.
Вопросы:
* D'après cette page, commentez et appréciez ce jugement de Maurice Barris sur lui-même: "Si j'avais pensé le monde comme j'ai pensé la Lorraine, je serais vraiment un citoyen de l'humanité".
BLESSÉS EN 14-18
Les soldats de 14-18, c'est Georges Duhamel, dans un livre resté justement célèbre, qui les a appelés des Martyrs. Et le mot n'est pas trop fort pour désigner ceux qui subirent dans les tranchées une interminable passion de cinquante-deux mois.
Pourtant, même aux pires moments de cette guerre, il subsistait des lueurs d'espoir, comme le montre PAUL VIALAR, dans ce dialogue de deux soldats qui viennent d'être blessés sur le champ de bataille.
Une grande lassitude s'est emparée de moi. Non, non, il ne fallait pas que je me laisse aller, que je me laisse aller: «Si on essayait..., ai-je dit.
— Quoi?
— De s'en aller.
— On peut pas1 marcher.»
Une affreuse amertume m'est montée à la bouche: «Ah! ai-je fait, les dents serrées, ça nous a bien foutus2 par terre, cette guerre tout de même! Tu vivais par terre, tu mangeaisparterre, tudormaisparterre... pour un coup qu'tu te mets debout, on te rappelle à l'ordre: tu vas crever par terre!» Alors, il a été pris d'une rage froide: «D'abord on crèvera pas", ça non, j'veux pas, a-t-il fait avec violence entre ses dents serrées. Dis comme moi, dis qu'on crèvera pas...
— Faut pas, non, faut pas, ai-je répété pour m'en convaincre. — J'pourrais p'fêtre4 essayer de te tirer?
— Où irait-on?
— Je ne sais pas, mais on s'en irait, voilà! Ah! a-t-il fait dans un grand soupir horrible, ça m'refait mal! J'avais plus mal, pendant un instant J'croyais qu'j 'étais guéri!
— C'est comme la guerre, ai-je dit, tu t'trouves en permission, c'est plus la guerre... et tu crois qu'fes guéri!»
Le lourd silence est retombé sur nous. J'ai pensé à ce que je venais de dire, aux jours d'où je sortais, cela m'a raccroché à un espoir, j'ai dit: «On oublie vite, tout de même!»
Mais j'ai entendu la voix de «la Volige»5 qui me répondait:
«Jamais, non, jamais ça n'sera possible d'oublier ça!
— Pourquoi? ai-je dit, si on se souvenait toujours, on ne dormirait plus jamais*»
De penser qu'on aurait au moins le sommeil, ça a dû lui redonner une vision d'espoir, à «la Volige»:
«Tiens, a-t-il fait, j'vas6 t'dire c'qui va s'passer: on va rester encore un peu ici, jusqu'à c'qu'on nous trouve, et pis, vers le matin, on va voir des gars s'amener7 sur le bled8, ça sera les brancos...
— Oh! oui, ai-je fait, illuminé, ça sera eux... les brancardiers....
— Oui... Y9 nous prendront sur leur sommier à creux et pis10 «en route»... en route... chaise à porteurs....
— Et puis le poste de secours....
— Les autos....
— Le train....
— L'train qui fume... et les p'tites dames qui viennent aux stations: «Encore un peu à boire, militaire?..» On s'excitait l'un l'autre, on se montait: «Et puis l'hôpital....
— Avec des lits....
— Des lits avec des draps....
— Des vrais lits, quoi!»
Il disait ça, «la Volige», dans une sorte de sanglot de joie, déjà il se croyait sauvé. Il m'a saisi l'épaule, m'a secoué comme si je n'avais pas été blessé. Et il répétait:
«Ah! Lamaud... mon vieux Larnaud!..» Mais soudain il s'est tu; puis, tout à coup, dégrisé, il a dit: «(...) Via mon pied qui m'refait mal!» Après ça, très longtemps, on est resté sans parler, on avait le cœur trop gros".
Ce n'est que beaucoup plus tard dans la nuit qu'il a repris, «la Volige»:
«C'quI2est terrible, c'est d'être là, cloué, et de n'pouvoir rien faire.
— Oui, ai-je répondu; sous le barrage13, encore, tu te baisses, tu te relèves; tu te défends... mais ici...»
Alors il a dit ces mots naïfs, atroces:
«Faut vraiment avoir l'habitude de vivre pour pas s'iaisser mourir!»
Sur le moment, seul le mot «vivre» m'a frappé. Je m'y suis raccroché comme à une bouée:
«Vivre!»... Dis donc, «la Volige», on vivra peut-être encore!
— Mais oui, mon gros, a-t-il fait comme un peu honteux de sa défaillance.
— C'est quelque chose, ai-je dit sentencieusement, de se dire ça, de se dire qu'on n'est pas tout à fait mort encore.... Quand on pense qu'il y a des villes —j'en venais —où il y a des tramways... des métros....
— Des types qui achètent leur journal...*» Soudain il m'a demandé:
«De quoi qu't'as14 l'plus envie?»
Ah! je le savais, de quoi j'avais le plus envie! Surtout, avant tout, de ne plus être tout seul, de ne plus vivre seul, d'avoir une femme, une vraie, à moi... un amour. Lui, il a dit, sans me laisser le temps de répondre:
«Moi... c'est d'un bifteck aux pommes15... J'voudrais, comme ça, entrer dans un p'tit restaurant qu'j'aurais choisi, un vrai, avec desp'tits rideaux, des p'tites lampes, des p'tites tables... et pouvoir commander: «Garçon, un bifteck «bien saisi... avec des pommes...»
— Dorées...
— Paille16, a-t-il fait comme s'il en avait déjà plein la bouche.
— Moi, ai-je repris, j'aurai peut-être plus droit à tout ça avec mon ventre17.
— Mais si, a dit «la Volige», c'est pas une maladie qu' t'as, c'est une blessure.
— C'est plus mauvais.
— Non, a-t-il fait, une blessure c'est... c'est naturel.»
Alors, naïvement, je me suis laissé aller à lui confier ce que j'avais sur le cœur; je savais bien que nous en étions à un moment où il comprenait:
«Ce que je voudrais, vois-tu, «la Volige», ça serait d'avoir quelqu'un qui compte pour moi.
— Une femme?
— Voilà.
— Toi, a-t-il fait, tu as une idée.»
Oui, c'était bien une idée, et seulement une idée que j'avais. «Peut-être, ai-je dit.
— T'as quelqu'un?»
Alors j'ai dit «oui». J'ai menti, tellement j'avais besoin de le croire. Il a repris, épousant mon jeu:
«Tu lui mettras un mot quand c'est qu'tu s'ras18 à l'hôpital et elle viendra.
— Oui, ai-je répété fermement, elle viendra.»
Il a eu alors ce mot admirable*:
«Si tu crois qu'elle viendra, t'es pas un homme perdu.»
PAUL VIALAR: Les Morts vivants (1947). Примечания:
1. Suppression populaire de: ne. 2. Жаргонное выражение: доконала, свалила с ног. 3. Просторечное выражение: сдохнуть, отдать концы. 4. Populaire, pour: peut-être. 5. Прозвище персонажа, с которым беседует рассказчик, Ларно. 6. Populaire pour: je vais. 1. Populaire: venir. 8. Местность, поле (слово арабского происхождения). 9. Populaire pour: ils. 10. Populaire pour: et puis. 11. Разговорное выражение, означаю- щее: огорчены, опечалены. 12. На солдатском жаргоне — заградительный огонь. По-русски примерно "заградогонь". 13. Populaire: as-tu. 14 Abréviation pour: pommes de terre frites. 14. Нарезанные "соломкой". 15. Рассказчик был ранен в живот. 16. Populaire pour: quand tu seras.
Вопросы:
* La suite du récit ne justifie-t-elle pas ce propos?
** Par quel moyen les deux blessés pat-viennent-ils à re prendre espoir et goût à la vie?
***Qu'y a-t-il, en effet, d' «admirable» dans ce mot?
LIBERTÉ
paul ELUARD a écrit cette, -pièce fameuse au cours des années d'occupation. Il y associe une syntaxe simple et des imaées audacieuses, qui font de lui l'un des poètes les plus remarquables d'a-près-guerre.
Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom.
Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom.
Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J'écris ton nom.
Sur la jungle et le désert
Sur les nids et sur les genêts Sur l'écho de mon enfance J'écris ton nom.
Sur les merveilles des nuits ; Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées' J'écris ton nom.
Sur tous mes chiffons d'azur Sur l'étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J'écris ton nom.
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres4
J'écris ton nom.
Sur chaque bouffée d'aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente" J'écris ton nom.
Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l'orage Sur la pluie épaisse et fade J'écris ton nom.
Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs7 Sur la vérité physique J'écris ton nom.
Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent J'écris ton nom.
Sur la lampe qui s'allume Sur la lampe qui s'éteint Sur mes maisons réunies J'écris ton nom.
Sur le fruit coupé en deux Du miroir8 et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J'écris ton nom.
Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite J'écris ton nom.
Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni9 J'écris ton nom.
Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J'écris ton nom.
Sur la vitre des surprises10 Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J'écris ton nom.
Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J'écris ton nom.
Sur l'absence sans désirs Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J'écris ton nom.
Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l'espoir sans souvenirs J'écris ton nom.
Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer
Liberté*.
PAUL ÉLUARD. Poésie et Vérité 1942. Примечания:
1. Юные, цветущие и верные, как жених и невеста. 2. На клочках синего неба (которые, например, видит узник). 3. Зацветшем, покрытом ряской. 4. Тени движутся, как крылья или колесо мельницы. 5. Безумной или кажущейся таковой из-за своего дикого вида. 6. Пресном, безвкусном. 7. Звучания красок так же мощны, как голоса колоколов. 8. Зеркало показывает половину яблока, словно оно разрезано пополам, и отражает половину комнаты. 9. Пламя обладает зыбкостью и текучестью воды. 10. Окно, через которое поэт видит приход чего-то неожиданного.
Вопросы:
Pourquoi l'écrivain donne-t-il à cette pièce la forme d'une litanie? — Quelle valeur y prend le mot final?
UNE CHRÉTIENTÉ EN MARCHE
georges BERNANOS n'a pas toujours ménagé ses sarcasmes aux «illusions» républicaines et démocratiques de ses compatriotes. Mais il a su aussi, notamment dans sa célèbre Lettre aux Anglais, écrite pendant la dernière guerre, montrer que l'histoire de France révélait, à côté d'apparentes faiblesses, déplus réelles et plus profondes vertus.
Nous sommes une chrétienté en marche, et voilà ce que le monde ne veut pas admettre parce qu'il court plus vite que nous, seulement ce n'est pas vers le même but. Nous sommes une chrétienté en marche, et nous savons très bien, en dépit de ce que nous disent les flatteurs et de nos propres vantardises, que ce n'est pas du tout une marche triomphale, derrière la fanfare. Pourquoi ne nous juge-t-on pas sur notre histoire? Notre histoire est une longue patience, aucun peuple n'a fait plus patiemment son destin, rassemblé plus patiemment sa terre, réparé plus patiemment ses erreurs ou ses folies. Nous sommes une race paysanne, une race ouvrière, qui travaille à pleins bras les six jours de la semaine, mais on ne nous
regarde que le septième, lorsque, en habits du dimanche, le verre plein et le cœur content, nous faisons danser les filles. Nous sommes une chrétienté en marche vers le royaume de Dieu, mais qui ne s'en va pas là-bas les mains vides. Nous n'aurions pas inventé d'aller si loin alors qu'on a déjà tant à faire chez soi, mais puisqu'il paraît que le bon Dieu nous a choisis pour apporter la liberté, l'égalité, la fraternité1 à tous ces peuples dont nous ne savons même pas exactement la place sur l'atlas, eh bien, nous allons nous mettre à l'ouvrage, nous allons sauver le monde, à condition, bien entendu, de sauver avec lui nos champs, nos maisons, nos bestiaux, et la petite rente aussi que nous avons chez le notaire. Nous sommes une chrétienté en marche, mais elle march.e à pied, traînant derrière elle un encombrant équipage parce que son petit bien lui est cher et qu'elle ne veut rien laisser en chemin. Nous sommes une chrétienté en marche vers un royaume d'égalité, de liberté, de fraternité, auquel nous avons parfois du mal à croire, parce que nous ne croyons volontiers qu'à ce que nous voyons, et nous ne l'avons jamais vu. Alors, mon Dieu, nous n'allons pas trop vite, rien ne presse, il faut ménager ses souliers, les ressemelages coûtent si cher!.. Oh! sans doute, il y a parmi nous de hardis garçons qui galopent le long de la colonne, rient aux filles et, toujours riant, se cassent le cou. Nous les aimons bien, nous en sommes fiers, nous reconnaissons en eux bien des traits de notre nature, une part de nous-mêmes qui se réveille chaque fois que nous avons bu un verre de trop; mais, s'ils montent bien à cheval, ils n'arrivent pas à l'étape avant nous, et ils ont fait au cours des siècles mille bêtises éclatantes, que nous avons dû réparer obscurément, jour après jour. C'est eux qui se sont fait battre à Azincourr, à Crécy. c'est eux qui ont dépensé jadis beaucoup de notre argent pour conquérir le royaume de Naples4, parce que les filles de ce pays leur semblaient belles; et ils ne nous ont rapporté de là-bas que des dettes (...). Ils courent très vite à l'ennemi, seulement il leur arrive de revenir aussi vite qu'ils étaient partis. A cause d'eux, notre histoire paraît frivole, et il n'en est pas pourtant de plus grave, et de plus tendre, de plus humaine. A cause d'eux, de leurs caracolades en avant ou en arrière, on s'imagine que nous n'avançons pas, et quand ils accourent vers nous en désordre, on se figure que nous avons reculé. C'est vrai que nous marchons lentement, mais si nous nous arrêtions tout à coup, le monde s'en apercevrait sûrement, le cœur du inonde fléchirait*.GEORGES BERNANOS. Lettreaux Anglais (J942). 82
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