La neige volait, s'écrasait sur les pèlerines, étoilait les murs. De place en place, entre deux nuits, on voyait le détail d'une figure rouge à la bouche ouverte, une main qui désigne un but.
Une main désigne l'élève pâle qui titube et qui va encore appeler. Il vient de reconnaître, debout sur un perron, un des acolytes8 de son idole. C'est cet acolyte qui le condamne. Il ouvre la bouche: «Darg...»; aussitôt la
boule de neige lui frappe la bouche, y pénètre, paralyse les dents. Il a juste le temps d'apercevoir un rire et, à côté du rire, au milieu de son état-major. Dargelos qui se dresse les joues en feu, la chevelure en désordre, avec un geste immense. Un coup le frappe en pleine poitrine. Un coup sombre. Un coup de poing de marbre. Un coup de poing de statue. Sa tête se vide. Il devine Dargelos sur une espèce d'estrade, le bras retombé, stupide dans un éclairage surnaturel.
Il gisait par terre. Un flot de sang échappé de la bouche barbouillait son menton et son cou, imbibait la neige***. Des sifflets retentirent. En une minute la cité se vida. Seuls quelques curieux se pressaient autour du corps et, sans porter aucune aide, regardaient avidement la boue rouge. Certains s'éloignaient, craintifs, en faisant claquer leurs doigts; ils avançaient une lippe9, levaient les sourcils et hochaient la tête; d'autres rejoignaient leurs sacs d'une glissade. Le groupe de Dargelos restait sur les marches du perron, immobile. Enfin le censeur10 et le concierge du collège apparurent, prévenus par l'élève que la victime avait appelé Gérard en entrant dans la bataille. Il les précédait. Les deux hommes soulevèrent le malade; le censeur se tourna du côté de l'ombre:
«C'est vous, Dargelos?
— Oui, monsieur.
— Suivez-moi.»
Et la troupe se mit en marche.
Les Enfants terribles (1920)
Примечания:
1. Ярмарочные акробаты, бродячие комедианты. 2. Резервы (военный термин) 3. Прихрамывал. 4 Выпуклость, выступ. 5. Грозные гримасы, которые строил "большой". 6. Главарь, вожак. Существует выражение le coq du village, соответствую- щее рускому "первый парень на деревне". 7. Даржело. 8. Приятелей. 9 Нижнюю губу 10. Надзиратель, отвечающий за дисциплину в лицее.
Вопросы:
* Relevez les expressions insolites contenues dans ce début («sol écorché vif »,j)ar exemple), et appré-ciez-en la justesse et /'originalité,
** Cette scène de cruauté enfantine vous paraît-elle vraisemblable?
* Comparez cette description avec le poème lie Cocteau inspiré par le même épisode,
«Ce coup de poing de marbre était boule de neige
Et cela lui étoila le cœur;
Et cela étoilait la blouse du vainqueur,
Étoila le vainqueur noir que rien ne protège.
Il restait stupéfait, debout
Dans la guérite de solitude,,
Jambes nues sous le gin, les noix d'or, le houx,
Etoile comme le tableau noir de l'étude.
Ainsi partent souvent du collège Ces coups de poing qui font cracher le sang, Ces coups de poing durs des boules de neige, Que donne la beauté, vite, au cœur, en passant.»
(Poésies)
JEAN GIONO (né en 1895)
On a parfois voulu réduire JEAN GIONO au rôle de chantre exalté de la Provence.Mais l'auteur des Vraies Richesses et du Poids du Ciel est teaucouj) plus qu'un simple romancier régionaliste. Même si l'on n'est pas d'accord avec sa philosophie naturiste et son apologie de la civilisation paysanne, il faut bien reconnaître en lui un prodigieux poète en prose, un inspiré chez qui l'imaêe affleure en un jaillissement ininterrompu, un écrivain dont la phrase, parfois pesante, a la saveur d'un lait crémeux...
UNE NUIT EXTRAORDINAIRE
C'était une nuit extraordinaire.
Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Elles étaient en touffes avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de
nuit*.
Jourdan ne pouvait pas dormir. Il se tournait, il se retournait.
«Il fait un clair de toute beauté», se disait-il. Il n'avait jamais vu ça.
Le ciel tremblait comme un ciel de métal. On ne savait pas de quoi puisque tout était immobile, même le plus petit pompon d'osier. Ça n'était pas le vent. C'était tout simplement le ciel qui descendait jusqu'à toucher la terre, racler les plaines, frapper les montagnes et faire sonner les corridors des forêts. Après, il remontait au fond des hauteurs. Jourdan essaya de réveiller sa femme. «Tu dors?
— Oui.
— Mais tu réponds?
— Non,
— Tu as vu la nuit?
— Non.
— Il fait un clair superbe.»
Elle resta sans répondre et fit aller un gros soupir, un claqué des lèvres et puis un mouvement d'épaules comme une qui se défait d'un fardeau. «Tu sais à quoi je pense?
— Non.
— J'ai envie d'aller labourer entre les amandiers.
— Oui.
— La pièce, là, devant le portail.
— Oui.
— En direction de Fra-Joséphine2.
— Oh! oui», dit-elle.
Elle bougea encore deux ou trois fois ses épaules et finalement elle se coucha en plein sur le ventre, le visage dans l'oreiller.
«Mais, je veux dire maintenant», dit Jourdan. Il se leva. Le parquet était froid, le pantalon de velours glacé. Il y avait des éclats de nuit partout dans la chambre. Dehors on voyait presque comme en plein jour le plateau et la forêt Crémone. Les étoiles s'éparpillaient partout.
Jourdan descendit à J'étable. Le cheval dormait debout.
«Ah! dit-il, toi tu sais, au moins. Voilà que tu n'as pas osé te coucher.»
Il ouvrit le grand vantail3. Il donnait directement sur le large du champ. Quand on avait vu la lumière de la nuit, comme ça, sans vitre entre elle et les yeux, on connaissait tout d'un coup la pureté, on s'apercevait que la lumière du fanal4 avec son pétrole, était sale, et qu'elle vivait avec du sang charbonné.
Pas de lune, oh! pas de lune. Mais on était comme dessous des braises, malgré ce début d'hiver et le froid. Le ciel sentait la cendre. C'est l'odeur des écorces d'amandiers et de la forêt sèche.
Jourdan pensa qu'il était temps de se servir du brabant5 neuf. La charrue avait encore les muscles tout bleus de la dernière foire, elle sentait le magasin du marchand, mais elle avait l'air volonteuse6 C'était l'occasion ou jamais. Le cheval s'était réveillé. II était venu jusque près de la porte pour regarder.
Il y a sur la terre de beaux moments bien tranquilles.
«Si vraiment je l'attends7 parce qu'il doit venir, se dit Jourdan, il arrivera une nuit comme celle-là.»
Il avait enfoncé le tranchant du contre8 au commencement du champ, en 336
tournant le dos à la ferme de Fra-Joséphine et en direction de la forêt Grémone. Il aimait mieux labourer dans ce sens parce qu'il recevait en plein nez l'odeur des arbres. C'est le cheval qui, de lui-même, s'était placé de ce côté.
Il y avait tant de lumière qu'on voyait le monde dans sa vraie vérité, non plus décharné de jour mais engraissé d'ombre et d'une couleur bien plus fine. L'œil s'en réjouissait. L'apparence des choses n'avait plus de cruauté, mais tout racontait une histoire, tout parlait doucement aux sens. La forêt là-bas était couchée dans le tiède des combes9 comme une grosse pintade aux plumes luisantes.
«Et, se dit Jourdan, j'aimerais bien qu'il me trouve en train de labourer.»
Depuis longtemps il attendait la venue d'un homme. Il ne savait pas qui. Il ne savait pas d'où il viendrait. Il ne savait pas s'il viendrait.' Il le désirait seulement. C'est comme ça que parfois les choses se font et l'espérance humaine est un tel miracle qu'il ne faut pas s'étonner si parfois elle s'allume dans une tête sans savoir ni pourquoi ni comment. Le tout c'est qu'après elle continue à soulever la vie avec ses grandes ailes de velours.
«Moi je crois qu'il viendra», se dit Jourdan. Et puis, c'est bien vrai, la nuit était extraordinaire. Tout pouvait arriver dans une nuit pareille. Nous aurions beau temps que l'homme vienne10**.
Que ma joie demeure (1935).
Примечания:
1. Чмоканье, т.е. она причмокнула. — Giono aime employer les adjectifs ou les participes avec une valeur de substantif (cf. infra: «le large du champ; le tiède des combes»). Ce sont des tours tout latins. 2. Название соседней фермы. 3. Створка дверей. 4. Фонарь "летучая мышь". 5. Плуг. 6. Mot de patois pour: volontaire. 7. Я жду человека, который должен прийти (см. предпоследний абзац). 8. Лемех плуга (слово того же корня, что и couteau) 9.Ложбин. 10. Хороший повод, чтобы он пришел.
Вопросы:
* Expliquez les images contenues dans cette phrase.
** L'un des ouvrages de Jean Giono s'intitule lie Poids du Ciel. Cette page n'offve-t-elle pas, elle aussi, un exemple de poésie véritablement cosmique?
MARCEL AYMÉ (1902-1967)
marcel AYMÉ est un conteur-né. Chez lui, le passage du réel au mer-veilleux s'opère spontanément. Mais son esprit malicieux se plaît surtout à imaginer
quels bouleversements le fantastique introduirait dans notre vie quotidienne si d'un instant à l'autre, il y devenait réalité.
LE PASSE-MURAILLE
Un modeste fonctionnaire de 43 ans, Dutilleul, s'est brusquement découvert le don de passer à travers les murailles. Il en profite d'abord four mystifier un sous-chef de bureau qui l'avait humilié. Puis, mis en goût par ce premier succès,il s'enhardit et se fait cambrioleur.
Le premier cambriolage auquel se livra Dutilleul eut lieu dans un grand établissement de crédit de la rive droite. Ayant traversé une douzaine de murs et de cloisons, il pénétra dans divers coffres-forts, emplit ses poches de billets de banque et, avant de se retirer, signa son larcin à la craie rouge, du pseudonyme1 de Garou-Garou, avec un fort joli paraphe2 qui fut reproduit le lendemain par tous les journaux. Au bout d'une semaine, ce nom de' Garou-Garou connut une extraordinaire célébrité. La sympathie du public allait sans réserve à ce prestigieux cambrioleur qui narguait si joliment la police. Il se signalait chaque nuit par un nouvel exploit accompli soit au détriment d'une banque, soit à celui d'une bijouterie ou d'un riche particulier. A Paris comme en province, il n'y avait point de femme un peu rêveuse qui n'eût le fervent désir d'appartenir corps et âme au terrible Garou-Garou. Après le vol du fameux diamant de Burdigala et le cambriolage du Crédit municipal, qui eurent lieu la même semaine, l'enthousiasme de la foule atteignit au délire. Le ministre de l'Intérieur dut démissionner, entraînant dans sa chute le ministre de l'Enregistrement'. Cependant, Dutilleul, devenu l'un des hommes les plus riches de Paris, était toujours ponctuel à son bureau et on parlait de lui pour les palmes académiques4. Le matin, au ministère de l'Enregistrement, son plaisir était d'écouter les commentaires que faisaient les collègues sur ses exploits de la veille. «Ce Garou-Garou, disaient-ils, est un homme formidable, un surhomme, un génie.» En entendant de tels éloges, Dutilleul devenait rouge de confusion et, derrière le lorgnon à chaînette, son regard brillait d'amitié et de gratitude. Un jour, cette atmosphère de sympathie le mit tellement en confiance qu'il ne crut pas pouvoir garder le secret plus longtemps. Avec un reste de timidité, il considéra ses collègues groupés autour d'un journal relatant le cambriolage de la Banque de France, et déclara d'une voix modeste: «Vous savez, Garou-Garou, c'est moi.» Un rire énorme et interminable accueillit la confidence de Dutilleul.qui reçut, par dérision, le surnom de Garou-Garou. Le soir, à l'heure de quitter le ministère, il était l'objet de plaisanteries sans fin de la part de ses camarades et la vie lui semblait moins belle*.
Quelques jours plus tard, Garou-Garou se faisait pincer5 par une ronde 338
de nuit dans une bijouterie de la rue de la Paix. Il avait apposé sa signature sur le comptoir-caisse et s'était mis à chanter une chanson à boire en fracassant différentes vitrines à l'aide d'un hanap6 en or massif. Il lui eût été facile de s'enfoncer dans un mur et d'échapper ainsi à la ronde de nuit7, mais tout porte à croire qu'il voulait être arrêté, et probablement à seule fin de confondre ses collègues dont l'incrédulité l'avait mortifié. Ceux-ci, en effet, furent bien surpris, lorsque les journaux du lendemain publièrent en première page la photographie de Dutilleul. Ils regrettèrent amèrement d'avoir méconnu leur génial camarade et lui rendirent hommage en se laissant pousser une petite barbiche8. Certains même, entraînés par le remords et l'admiration, tentèrent de se faire la main sur le portefeuille ou la montre de famille de leurs amis et connaissances**.
On jugera sans doute que le fait de se laisser prendre par la police pour étonner quelques collègues témoigne d'une grande légèreté, indigne d'un homme exceptionnel, mais le ressort apparent de la volonté est fort peu de chose dans une telle détermination. En renonçant à la liberté, Dutilleul croyait céder à un orgueilleux désir de revanche, alors qu'en réalité il glissait simplement sur la pente de sa destinée. Pour un homme qui passe à travers les murs, il n'y a point de carrière un peu poussée s'il n'a tâté au moins une fois de la prison. Lorsque Dutilleul pénétra dans les locaux de la Santé9, il eut l'impression d'être gâté par le sort. L'épaisseur des murs était pour lui un véritable régal. Le lendemain même de son incarcération, les gardiens découvrirent avec stupeur que le prisonnier avait planté un clou dans le mur de sa cellule et qu'il y avait accroché une montre en oj appartenant au directeur de la prison. Il ne put ou ne voulut révéler comment cet objet était entré en sa possession. La montre fut rendue à son propriétaire et, le lendemain, retrouvée au chevet de Garou-Garou avec le tome premier des Trois Mousquetaires10 emprunté à la bibliothèque du directeur. Le personnel de la Santé était sur. les dents". Les gardiens se plaignaient en outre de recevoir des coups de pied dans le derrière, dont la provenance était inexplicable. Il semblait que les murs eussent, non plus des oreilles, mais des pieds. La détention de Garou-Garou durait depuis une semaine, lorsque le directeur de la Santé, en pénétrant un matin dans son bureau, trouva sur sa table la lettre suivante:
«Monsieur le directeur. Me reportant à notre entretien du 17 courant et, pour mémoire12 à vos instructions générales du 15 mai de l'année dernière, j'ai l'honneur de vous informer que je viens d'achever la lecture du second tome des Trois Mousquetaires et que je compte m'évader cette nuit entre onze heures vingt-cinq et onze heures trente-cinq. Je vous prie, monsieur le directeur, d'agréer l'expression de mon profond respect. GAROU-GAROU.»
Malgré l'étroite surveillance dont il fut l'objet cette nuit-là, Dutilleul s'évada à onze heures trente. Connue du public le lendemain matin, la
nouvelle souleva partout un enthousiasme magnifique. Cependant, ayant effectué un nouveau cambriolage qui rnit le comble à sa popularité. Dutilleul semblait peu soucieux de se cacher et circulait à travers Montmartre sans aucune précaution. Trois jours après son évasion, il fui arrêté rue Caulaincourt au café du Rêve, un peu avant midi, alors qu'il buvait un vin blanc citron avec des amis.
Reconduit à la Santé et enfermé au triple verrou dans un cachot ombreux, Garou-Garou s'en échappa le soir même et alla coucher à l'appartement du directeur, dans la chambre d'ami. Le lendemain matin, vers neuf heures, il sonnait la bonne pour avoir son petit déjeuner et se laissait cueillir au lit, sans résistance, par les gardiens alertés. Outré, le directeur établit un poste de garde à la porte de son cachot et le rnit au pain sec. Vers midi, le prisonnier s'en fut déjeuner dans un restaurant voisin de la prison et, après avoir bu son café, téléphona au directeur.
«Allô! Monsieur le directeur, je suis confus, mais tout à l'heure, au moment de sortir, j'ai oublié de prendre votre poitefeuille, de sorte que je me trouve en panne13 au restaurant. Voulez-vous avoir la bonté d'envoyer quelqu'un pour régler l'addition***?»
Le Passe-Muraille (1943) Примечания:
I. Псевдоним, обозначающий "оборотень". 2. Росчерк, которым заканчивается подпись. 3. Вымышленное министерство, в котором в скромной должности служил герой рассказа. 4"Академические пальмы", почетная награда зазаслуги в области литературы и искусства. Во Франции эта награда зачастую воспринимается весьма насмешливо. 5. Схватить, сцапать. 6 Старинный кубок. 7. Ночной полицейский об- ход. 8. Герой рассказа носит бородку 9 Знаменитая парижская тюрьма Came. 9 Ро- ман Александра Дюма. 10. Валился с ног от усталости. 11. Бухгалтерский термин, означающий, что такая-то статья включена в счетный документ только для справки. Здесь, имея в виду. 12 Морской термин, означающий "лежать в дрейфе". Означаем также "потерпеть аварию" (автомобильную, авиа) или "сидеть на мели" (без денег).
Вопросы:
* Eludiez le caractère de Dutilleul, tel qu'il se manifeste dans cette, page.
** N'v a-t-il pas dans cette phrase (et aussi dans les deux ou trois suivantes) une -pointe de malice voire de satire?
*** Est-ce par hasard que les personnages tournés en dérision par Dutilleul appartiennent soit à l'administration, soit à la police?
ALBERT CAMUS (1913-1960)
L'ŒUVRE D'ALBERT CAMUS est encore peu volumineuse. Mais elle est fort diverse, et surtout elle -possède une rare densité. Plus que par son contenu, peut-être, elle semble valoir par son accent, par sa tension, par la vertu d'un style poétique et pourtant d'une infaillible netteté.
UN MEURTRE
Meursault, le narrateur, est allé passer la journée sur une plage en compagnie de Raymond. Celui-ci a eu une altercation avec un Arabe, qui l'a blessé d'un coup de couteau. Avant de repartir, il a confié son revolver à Meursault, lequel, épuisé par la chaleur, se met à la recherche d'un endroit ombragé.
Je voyais de loin la petite masse sombre du rocher entourée d'un halo aveuglant par la lumière et la poussière de mer. Je pensais à la source fraîche derrière le rocher. J'avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil, l'effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l'ombre et son repos. Mais quand j'ai été plus près, j'ai vu que le type de Raymond1 était revenu.
Il était seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil. Son bleu de chauffe" fumait dans la chaleur. J'ai été un peu surpris. Pour moi, c'était une histoire finie et j'étais venu là sans y penser.
Des qu'il m'a vu, il s'est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j'ai serré le revolver de Raymond dans mon veston. Alors de nouveau, il s'est laissé aller en arrière, mais sans retirer la main de sa poche. J'étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres. Je devinais son regard par instants, entre ses paupières mi-closes. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux dans l'air enflammé. Le brait des vagues était encore plus paresseux, plus étale' qu'à midi. C'était le même soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures que la journée n'avançait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancré dans un océan de métal bouillant. A l'horizon, un petit vapeur est passé et j'en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n'avais pas cessé de regarder l'Arabe.
J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire. J'ai
attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils. C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinc- tement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu*. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du mal- heur**.
L'Étranger (1942).
Примечания:
1. Араб, который ранил Ремона. Слово type употреблено здесь в разговорном зна- чении. 2. Синий шоферский комбинезон. 3. Спокойное море, штиль. Т.е. шум волн был ленивей и спокойней...
Вопросы:
* La scène se passe sur une plage d'Afrique du Nord: comment l'impression de chaleur et de lumière est-elle rendue dans cette page?
Театр зародился во Франции в средние века. Произошло это тогда, когда литургическая драма слишком разрослась для того, чтобы ее можно было продолжать разыгрывать в церкви, и она переместилась на паперть (XII в.) Тогда она была представлена такими разновидно- стями как "игра", "чудо", а впоследствии "мистериями", которые объединяла одна черта: все они имели религиозный характер. Но вскоре в отдельный жанр выделилась комедия; комедий было много, и во всяком случае одна из них "Фарс о Патлене" (XV в.) до сих пор не утратила остроты и пикантности.
Возникновение гуманизма определило поворот в истории француз- ского театра: авторы — к примеру, Робер Гарнье — обратили свое внимание на великих драматургов греко-латинской античности, а тео- ретики, такие как Скалижер и Воклен де ла Френе, разработали поло- жения доктрины, подготовившей появление классической трагедии, в основе которой лежит нравственная проблема, разрешаемая в жестких рамках трех единств — единства места, времени и действия. Теперь оставалось ждать явления гения, чтобы выразить эту новую направ- ленность драматургии. Им стал Корнель со своим "Сидом" (1636). Но достоинства Корнеля отнюдь не принижают значения ни Мольера, создавшего великие комедии нравов и положений, ни Расина, кото- рый доселе непревзойденным образом сумел соединить в своих траге- диях сценичность, подлинность человеческих характеров и волшеб- ную поэзию.
Наш чрезмерно философский XVIII век не дал ни одного великого драматурга. Исключение, быть может, составляет Мариво, автор не- сомненно оригинальный, но по широте значительно уступающий Мольеру. Тем не менее необходимо отметить усилия некоторых писа- телей отыскать с помощью новых форм способы обновления фран- цузской сцены; так Дидро предпринял попытку соединить трагедию и комедию, создав так называемую буржуазную драму (к сожалению, и "Побочный сын", и "Отец семейства" оказались не слишком убеди- тельными иллюстрациями этой пробы обновления), а Бомарше, желая
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