MARIE CURIE, à qui revient l'honneur d'avoir découvert le radium, est née Polonaise. Mais, venue à Paris poursuivre ses études, elle épouse un jeune savant de chez nous, enseigne elle-même à la Sorbonne. Aussi a-t elle triplement mérité d'être revendiquée également par les Français S'il semble inutile d'insister sur l'immense portée d'une découverte qui lui a valu deux fois le Prix Nobel, on doit, en revanche, rappeler dans quelles conditions difficiles a travaillé cette bienfaitrice de l'humanité et quelle indomptable énergie elle n'a cessé de manifester jusqu'à la réussite finale.
Marie a continué de traiter, kilogramme par kilogramme, les tonnes de résidus de pechblende' qui lui ont été envoyées, en plusieurs fois, de Saint- Joachims-thal". Avec sa terrible patience, elle a été chaque jour, pendant quatre années, à la fois un savant, un ouvrier spécialisé, un ingénieur et un homme de peine. C'est grâce à son cerveau et à ses muscles que des produits de plus en plus concentrés, de plus en plus riches en radium, ont pris place sur les vieilles tables du hangar
Mme Curie approche du but. Le temps n'est plus où, debout dans la cour, enveloppée d'acres fumées, elle surveillait de lourdes bassines de matière en fusion. Voici venir l'étape de la purification et de la «cristallisation fractionnée» des solutions fortement radioactives. C'est à présent qu'il faudrait disposer d'un local minutieusement propre, d'appareils parfaitement protégés contre le froid, la chaleur, la saleté!.. Dans le pauvre hangar ouvert à tous les vents flottent des poussières de fer et de charbon qui, au désespoir de Marie, viennent s'agglomérer aux Produits purifiés avec tant de soin. Elle a le cœur serré devant ces accidents quotidiens, qui usent son temps et ses forces.
Pierre4, lui, est tellement las de l'interminable lutte qu'il serait très près de l'abandonner. Entendons-nous: il ne songe pas à délaisser l'étude du radium et de la radioactivité, mais il renoncerait volontiers, pour l'instant, à cette opération particulière: préparer du radium pur. Les obstacles Paraissent insurmontables. Ne pourrait-on reprendre plus tard le travail,
dans des conditions meilleures? Plus attaché à la signification des phénomènes de la nature qu'à leur réalité matérielle, Pierre Curie est excédé de voir les piètres résultats auxquels aboutissent les efforts épuisants de Marie. Il lui conseille un armistice.
Il a compté sans le caractère de sa femme. Marie veut isoler du radium et elle en isolera. Elle méprise la fatigue, la difficulté, et jusqu'aux lacunes de son propre savoir, qui lui compliquent la tâche. Elle n'est, après tout, qu'une très jeune savante. Elle n'a pas encore la sûreté, la grande culture de Pierre, qui travaille depuis vingt années, et parfois elle se heurte à des phénomènes ou à des méthodes qu'elle connaît mal, et pour lesquels il lui faut, en hâte, se documenter.
Tant pis! Le regard buté, sous son grand front, elle s'accroche à ses appareils, à ses coupelles.
En 1902, quarante-cinq mois après le jour où les Curie annonçaient l'existence probable du radium, Marie remporte enfin la victoire de cette guerre d'usure. Elle réussit à préparer un décigramme de radium pur, et elle fait une première détermination du poids atomique de la substance nouvelle, qui est de 225.
Les chimistes incrédules — il en restait quelques-uns — n'ont plus qu'à s'incliner devant les faits, devant la surhumaine obstination d'une femme. Le radium existe officiellement*.
eve CURIE6. Madame Curie (1938). Примечания:
1. Минерал уранит, урановая смоляная руда 2. В Австрии. 3 Там, где работала Мария Кюри. 4. Ее муж. 5. Лабораторные тигли. 6. Одна из дочерей Пьера и Марии Кюри.
Вопросы:
* Comment est exprimée, dans ce texte, l'indomptable énergie de Marie Cime? — Connaissez-vous d'autres inventeurs qui aient eu, eux aussi, de grandes épreuves à traverser avant de parvenir au succès ' Donnez quelques exemples, et montrez quelle leçon s'en dégage.
LE PRINCE DE BROGLIE (né en 1892)
Le prince Louis de Broglie est le plus célèbre des savants français d'aujourd'hui. Son principal titre de gloire est d'avoir concilié la théorie corpusculaire et la
théorie ondulatoire de la lumière: découverte de portée mondiale, qui valut à son auteur le Prix Nobel de physique en 1931.
Le prince de Broglie voudrait peut-être bien ne pas s'occuper des affaires du monde, mais il est imprégné d'une si extrême gentillesse, d'une si extrême bonté même, qu'il s'en occupe lorsqu'on le lui demande.
Il ne sait pas dire non, il ne ferme sa porte à personne, il demeure d'une parfaite courtoisie pour qui le dérange au téléphone. Ainsi est-il déchiré entre son désir de vivre en une tour d'ivoire1 et son penchant à rendre service.
Porte-drapeau de la science française, il ne refuse jamais de présider un congrès, il n'a pas refusé le secrétariat permanent de l'Académie des sciences, il ne refuse guère à un jeune savant de présenter pour lui une communication devant cette compagnie.
Un fait qui montre jusqu'à quel point il ne sait pas résister aux sollicita- tions: il se laissa jadis engager dans une affaire où des camarades de régiment recherchaient l'éclat de son nom. On raconte même que, un jour, à la foire de Paris, il accepta, pour rendre service à un ami, de vendre des réchauds électriques à sa place...
Mais ce trait de caractère a influencé même ses idées scientifiques. Il n'a pas osé dire non à ceux, qui, vers 1927, voulurent, à toute force, considérer les ondes imaginées par lui comme une simple vue de l'esprit, un reflet de l'impuissance humaine à percevoir et à mesurer l'infiniment petit. Bohr2 et Heisenberg1 étaient de ceux-là. Louis de Broglie en vint à admettre que ses ondes qui expliqueraient tout n'avaient sans doute pas d'existence réelle, et que les particules élémentaires possédaient une certaine «liberté» dans leur comportement. C'est ce qu'on appela le principe d'incertitude, la théorie de l'indétermination.
Que les choses, à la micro-échelle, ne soient pas étroitement «déterminées», voilà qui était diablement explosif pour toute la philosophie*. Et, ainsi, depuis plus d'une vingtaine d'années, les philosophes vivent sur ce baril de poudre.
Mais, depuis 1952, Louis de Broglie fait machine arrière. «Non, dit-il en substance, j'ai peut-être cédé trop vite. Il y a bien réellement une réalité profonde dans les ondes. Les micro-objets sont peut-être, comme les autres, régis par un étroit déterminisme.» Son livre de 1953. publié chez Gautier-Villars, La Physique est-elle indéterministe? a déjà eu un retentissement mondial. Nous sommes sans doute à un nouveau tournant de l'histoire des sciences. Certains vulgarisateurs ont évoqué l'onde-corpuscule de Broglie par
l'image d'un bouchon oscillant sur une onde de l'eau. Rien n'est plus faux. on sait très bien que l'ondulation se transmet dans l'eau. Mais le milieu qui transmet l'onde de Broglie, on ne le voit pas, on ne le connaît pas, et l'on a tout lieu de croire qu'il n'existe même pas. Comment imaginer cette onde? Louis de Broglie travaille cette question. Peut-être bientôt... Si vous le rencontrez dans le métro, allant le lundi de Neuilly5 à l'Académie, le mardi de Neuilly à l'Institut Henri-Poincaré où il enseigne la physique théorique, sachez que cet homme qui semble perdu dans ses rêves, qui souvent leur adresse un fin sourire, cet homme qui, tout aussi bien, voyage en seconde classe avec un billet de première — ou le contraire — cet homme porte en lui de nouvelles grandes idées explosives...
PIERRE DE LATIL Et JACQUES BERGIER. Quinze hommes... Un secret (1956} Примечания:
1. Башня из слоновой кости — символ полнейшей изолированности от мира от людей. 2. Выдающийся датский физик. 3. Немецкий физик. 4. Т.е. электроны 5. Небольшой городок под Парижем, где жил ученый
Вопросы:
* Essayez d'expliquer ce qu'il y avait l'explosif, au moins aux yeux des -philosofihes dans ce principe d'indétermination.
LA VOCATION FRANÇAISE
Une belle page de GEORGES DUHAMEL peut servir de conclusion à ce chapitre Car, ce que les Français aiment à considérer comme leur vocation nationale, promouvoir et défendre l'universel,l'écrivain le confirme par la variété même des talents et des esprits qui ont fait la grandeur de la France.
Certains peuples ont pris place dans l'histoire parce qu'ils avaient engendré d'audacieux navigateurs; d'autres doivent leur renom à l'habileté de leurs négociants; d'autres encore se font admirer pour leur industrie dont les produits sont estimés et recherchés. Il en est qui s'enorgueillissent de leurs poètes, ou de leurs musiciens, ou de leurs philosophes. Tel pays célèbre ses hommes de guerre, tel autre ses artistes, tel autre ses savants. On connaît des nations, même très nombreuses et fortement établies sur de vastes territoires, qui ne peuvent répondre à l'appel de l'histoire en citant le nom d'un seul de leurs citoyens. En revanche, de très petits pays peuvent se
faire représenter au tribunal de l'humanité par une cohorte d'avocats. Parfois un seul grand homme suffit pour l'illustration d'un empire. On ne voit pas que la France ait fait défaut dans une quelconque des parties de l'activité humaine. Elle y est partout présente et partout elle excelle. N'aurait-elle donné que Pasteur, elle mériterait encore la reconnaissance du monde. N'aurait-elle à citer que Pascal et elle serait assurée d'un rang honorable entre les groupes humains. Mais en vérité ils sont des centaines et des milliers, les hommes remarquables dont la France peut inscrire les noms sur les murailles de son Panthéon. La belle et célèbre phrase de Térence: «Homo sum: humant nihil a me alienum puto», si l'on pouvait, par faveur spéciale, l'appliquer à une nation comme à une personne, j'oserais demander qu'elle fût brodée sur les drapeaux de ma patrie.
Toutes les provinces de la France ont montré, dans ce grand labeur, des vertus concurrentes ou complémentaires. Voltaire et Lavoisier sont Parisiens, mais Montesquieu est Gascon, Corneille est Normand, Pascal est Auvergnat, Montaigne est Périgourdin, Laënnec est Breton, les Le Nain sont Picards, Vincent de Paul est Landais, La Fontaine est Champenois, Cuvier est Comtois, et Valéry garde encore, dans son parler, un souvenir du Languedoc natal. On pourrait prolonger la liste sur de longues pages encore. Elle montrerait à merveille que nul canton de la France n'est un médiocre terroir pour le talent et le génie*.
GEORGES DUHAMEL. Civilisation française(1944).
Вопросы:
* Estimez-vous excessif ou justifié l'éloge que G. Duhamel fait ici de sa patrie? — Recherchez quelles contrées (le France vous semblent avoir produif le plus grand nombre d'hommes célèbres.
Нам важно ваше мнение! Был ли полезен опубликованный материал? Да | Нет
studopedia.su - Студопедия (2013 - 2025) год. Все материалы представленные на сайте исключительно с целью ознакомления читателями и не преследуют коммерческих целей или нарушение авторских прав!Последнее добавление